Notre arbre de Noël
Ce week-end, mon mari et moi avons installé un sapin de Noël dans notre salon. Cet arbre, c’est tout un symbole. C’est la première année que nous avons notre propre sapin. C'est la première année où je me dis que ce n'est pas parce que nous n'avons pas d'enfants que je ne peux pas essayer de rendre Noël aussi beau que si nous en avions eu.
Les fêtes de fin d'année, c’est le symbole de toutes les attentes inconscientes que j’avais placées dans mes enfants : au début, mon mari et moi passions même Noël séparés, parce que nos parents respectifs habitent dans des villes trop éloignées pour nous permettre d'aller chez les uns et les autres en l’espace de quelques jours, et parce que je me disais que l’arrivée d’enfants nous forcerait à choisir entre les deux endroits, voire nous donnerait l’occasion de rester chez nous.
Avec du recul, je me rends compte combien il est dangereux de placer toutes ces attentes non dites dans ses enfants. Cela rend l’infertilité d’autant plus difficile à vivre, et n’est sans doute pas non plus très honnête vis-à-vis des enfants, qui ne sont pas voulus que pour eux-mêmes.
Au fil du deuil de maternité, j’ai pris le temps d’y réfléchir. J'ai pris conscience que je n’avais pas besoin d’enfants pour réaliser certaines de ces attentes, et cela a été salutaire. Elles se sont révélées nombreuses : faire moins d’heures supplémentaires au travail, parler plus français à la maison, être perçue comme une femme à part entière, faire partie de la communauté des parents, être mieux intégrée dans la ville où nous habitons grâce à l’école de mes enfants, vivre une grossesse pour que mon corps ressente différemment certaines bases de la technique vocale… Et donc, aussi, former une « vraie famille » pour la fête de Noël.
Par exemple, une des premières choses auxquelles j’ai pensé quand je me suis imaginée mère, c’est le temps que je passerais avec mes enfants à faire des bredele, les gâteaux de Noël alsaciens. Ou bien je me voyais aller à la fête de Noël des enfants de mon travail. Depuis que je suis confrontée à l'infertilité, j'ai toujours fait du télétravail ce jour-là. Cette année, je ne l’ai pas fait. J’ai annoncé très posément à mon collègue, chargé de jouer le rôle du Père Noël et qui me demandait gentiment si je voulais l’aider à chanter quelques chansons pour les enfants, que je préférais ne pas venir parce que je ne pouvais pas avoir d’enfants et que j’avais peur de réveiller ma tristesse. J’ai fermé la porte de mon bureau. J’ai pensé qu’ainsi, seuls les collègues qui me connaissaient frapperaient pour me présenter leurs enfants. Je voulais éviter d’être forcée de m’extasier devant ceux de collègues à qui je ne parle jamais.
J’ai remarqué depuis peu que les enfants de personnes que je ne connais pas ne m’intéressent plus a priori. Avant, je trouvais tout ce qui ressemblait à un bébé ou à un enfant mignon, tout en souffrant de ne pas en avoir un à moi. Aujourd’hui, je ressens de plus en plus d’indifférence face aux enfants d’inconnus. Parallèlement, je me sens plus capable de m’intéresser à ceux des personnes que je connais. L’image des enfants que j’avais rêvés est de plus en plus lointaine. Mon image de mère s’éloigne aussi, et laisse place à autre chose : j’ai envie d’être pour les enfants qui m’entourent autre chose que simplement une femme qui tente de reproduire ce qu’elle n’a pas pu faire avec ses propres enfants. D’être le modèle d’une autre façon de vivre : une personne qui a du temps pour eux, qui connaît bien la musique et l’art, la botanique et les animaux, et qui leur fait découvrir des choses que leurs parents ne font pas avec eux.
Je reste sidérée de l’évolution de mon état d’esprit depuis un an. Mais j'en connais l'origine : c’est la fin de l’incertitude qui change tout. C'est d'avoir repris mon destin en main. Cette idée m'est venue récemment, car je cherche à changer de travail. Candidater suppose de se projeter dans différents scénarios, de se persuader qu’une option est la bonne, puis de se convaincre du contraire si cela ne fonctionne pas. Après mon dernier entretien d’embauche, j’ai passé une semaine assez torturée à peser le pour et le contre d’accepter la proposition de poste dans le cas où l’employeur me choisirait. À la fin de la semaine, j’ai reçu un message m’annonçant que ma candidature n’avait pas été retenue. C’était clair, net, sans appel. Comparé à l’attente interminable de ces dernières années, à ce poids qui a reposé indéfiniment sur mes épaules quant à la décision de cesser d'espérer en vain, ce n’était rien et j’ai presque été soulagée qu’une décision ait été prise pour moi.
Nous avons donc un arbre de Noël à nous. Nous l'avons décoré avec des figurines en pâte à sel et des boules en patchwork que nous avons fabriquées avec des amis. Nous avons aussi un calendrier de l'Avent et chacun à son tour devient l'enfant de l'autre en découvrant la surprise du jour. J'ai accroché la couronne en patchwork que j'ai bricolée et cuisiné des gâteaux de Noël en pensant à ceux à qui j'allais en offrir.
Cela prend du temps de reconquérir la joie de Noël après être passé par l'infertilité. Cela suppose d'inventer autre chose que ce dont j'avais rêvé. J'espère que chacun de vous pourra profiter des fêtes en trouvant la façon d'en faire un moment particulier à son image.
Pour ceux qui redoutent les fêtes suite à l'absence d'enfants, je conseille la lecture de différents articles (et pour les traductions, je conseille Deepl).
- Ceux d'Artemise « Comment traverser au mieux la période des fêtes malgré le deuil d’une vie sans enfant ? », « Comment garder l’esprit de noël quand le cœur n’y est plus ? » et « Survivre aux fêtes de fin d'année »
- Celui du collectif BAMP « Voici Noël ô douce nuit »
- Celui de Loribeth qui rassemble aussi beaucoup d'autres articles en anglais au sujet des fêtes « Thinking about Christmas »
- Celui d'Elaine « O du fröhliche »
- Celui de Brandi Lytle « How to Survive Childless Holidays »
- Celui de Bamberlamb « Christmas »