Ce que j’aurais aimé savoir

J’ai appris qu’une de mes amies essaie depuis longtemps d’avoir son premier enfant. En rédigeant un mot de soutien à son attention, j’ai constaté que j’étais incapable de lui tenir des propos naïfs tels que « je croise les doigts » ou « ne t’inquiète pas, c’est normal que ce soit long mais ton rêve va se réaliser ».
Ça, c’est ce que j’aurais dit avant de vivre moi-même la violence et le désenchantement de voir mes rêves se heurter au mur de l’infertilité. Avant de comprendre à quel point l’espoir vain dans une chose déterminée peut être destructeur.
Si je devais a posteriori dresser la liste de ce j'aurais aimé savoir en abordant ce tournant dans ma vie, voilà ce que j’y mettrais.

J’aurais aimé savoir que je ne devais pas laisser des personnes qui n’y connaissaient rien me donner mauvaise conscience en me disant que c'était de ma tête que venait un blocage.
J'aurais aimé qu'on me dise de ne pas croire les médecins qui m'affirmaient qu’à 30 ans, j’étais jeune et que j’avais le temps. J’aurais aimé entendre parler de fertilité à l’école, plutôt qu’uniquement de contraception, pour savoir qu'à cet âge, ma fertilité avait déjà commencé à décliner et que beaucoup de couples sont confrontés à l'infertilité.
J’aurais aimé qu’on m'informe très tôt que la PMA n’offrait aucune garantie d’avoir des enfants, pour me préparer aux autres possibles. J’aurais voulu qu’on me parle des « oubliés de la PMA » sans en faire un tabou ni les dévaloriser. Qu'on me dise que la majorité des cycles de traitement se soldent par un échec : qu'un couple a 18% de chances de donner naissance à un enfant en commençant un cycle de PMA et que la moitié des couples passés par 3 cycles de traitements s’arrêtent sans tenir l’enfant escompté dans leurs bras.
J’aurais aimé qu’on me prévienne que la PMA est difficile à vivre. Qu'elle entraîne des douleurs physiques parfois très intenses et comporte des risques réels. Qu'elle rend la vie professionnelle très compliquée car les rendez-vous s’accumulent, plusieurs par mois. Que les hormones administrées et l’alternance d’espoir et d’échec entraînent un ascenseur émotionnel éprouvant.
J’aurais aimé qu'on m'alerte sur le fait que les effets de long terme de la PMA sur les femmes qui l’ont vécue et les enfants nés grâce à ces techniques ne sont pas encore suffisamment étudiés. Parce que la PMA est un business. J'aurais voulu connaître les sites d'anciennes patientes qui commencent à briser le tabou, témoigner et collecter des articles sur le sujet : L’autre vérité sur la PMA, La PMA autrement racontée et ReproTechTruths.
J'aurais aimé savoir que beaucoup de patientes décrivent des douleurs chroniques qui ont commencé avec la PMA et persistent des années après son arrêt, comme si le corps ne retrouvait jamais son équilibre d’avant.
J’aurais voulu qu’on m'assure que la PMA n’était pas un passage obligé et que je ne devais me justifier devant personne de ne pas m’engager là-dedans ou de décider d’arrêter avant d’avoir « tout essayé ».
J’aurais aimé qu’on me dise qu’il était normal d’être submergé par les émotions, aussi négatives soient-elles, et que je ne devais pas en avoir honte. J’aurais voulu qu’on me révèle que ces sentiments, tristesse, colère, révolte, étaient ceux du deuil. J’aurais aimé savoir qu'il existe des psychologues spécialisés dans les questions d’infertilité.
J’aurais aimé connaître des lieux où échanger avec des personnes qui traversaient la même épreuve que moi.
J’aurais voulu qu'on me prévienne que mon couple serait rudement mis à l’épreuve et que je devais en prendre soin.
J’aurais aimé savoir que malgré l’absence d’enfant, je pourrais mener une vie heureuse, belle et remplie. Que le cheminement serait long. Mais que l’acceptation de ma situation serait la clé de la guérison.
J’aurais voulu qu'on me dise que mon impression de faire du sur-place était trompeuse ; que l’infertilité, comme la maternité, me changerait pour toujours. Qu'elle révélerait des forces insoupçonnées en moi et qu'y survivre me donnerait confiance en moi et mon couple.

Je n’ai pas envoyée cette liste à mon amie. Je lui dit que j’étais là, si elle avait besoin d’une oreille attentive et d’une épaule sur laquelle pleurer. J’ai abordé certains aspects. Mais chacun voit les choses différemment et peut-être ne fera-t-elle jamais siennes mes paroles. Moi-même, si je repense à mon état d’esprit d’il y a quatre ans, je me demande comment j’aurais reçu de tels propos. Peut-être aurais-je détesté cela. Mais peut-être, au contraire, aurais-je été guidée dans mes choix par la rassurante affirmation que je ne dois rien à personne et que je n'ai pas à baisser la tête, et par la perspective d'une lumière au bout du tunnel, quelle que soit l'issue de mon cheminement.


Camille m'a invitée à témoigner sur son blog, L'autre vérité sur la PMA. Merci à elle :-)