Infertilité

Désarroi

J’essaie dans mes articles de prendre du recul sur ma douleur pour écrire des choses qui puissent intéresser plus de personnes que simplement moi-même. Mais aujourd’hui, je n’y parviens pas.

Je suis de retour d’une pause estivale qui a été très salutaire, remplie de découvertes et de contacts avec la nature. La reprise du quotidien est d’autant plus difficile que j’ai eu le sentiment de revivre pendant les dernières semaines.
Chaque matin au réveil, je me demande pourquoi je me regarde vivre cette vie qui n’a aucun sens. Le Voyage d’hiver de Schubert est sans doute la musique qui traduit le mieux mon état d’esprit du moment.

Je me sens en complet décalage avec toutes les personnes que je côtoie au quotidien, en particulier au travail : nous ne sommes pas dans les mêmes phases de la vie. Les uns ont déjà une famille, sont propriétaires de leur chez-soi et ont un emploi stable. Ils savent où ils seront les prochaines années. Les autres se trouvent à l’orée de décisions importantes : ils se marient, s’installent ensemble et projettent éventuellement de fonder une famille. C’est la situation dans laquelle je me trouvais il y a 5 ans. Depuis, j’ai le sentiment que rien n’a changé dans ma vie. Mon parcours a été gelé, s'est arrêté à mi-chemin : je me suis interdit d’évoluer professionnellement parce que, consciencieuse comme je suis, je ne voulais pas prendre de responsabilités si je devais partir peu après en congé maternité, puis ce sont les traitements médicaux qui m’en ont empêchée. J’ai laissé passer des opportunités d’évolution juste parce que j’ai été assez stupide pour considérer comme acquis que je deviendrai mère, ce qui justifiait tous les sacrifices : je ne me le pardonnerai jamais. C’est pour cela que je m’insurge devant l’ignorance de la plupart des gens sur les capacités procréatives humaines, et quand j'entends que certaines conditionnent leurs décisions à une hypothétique grossesse. On regrette toujours ce que l'on n'a pas fait, rarement ce que l'on a fait. Il se trouve que le poids de la reproduction repose sur les femmes, mais elles devraient simplement agir comme les égales des hommes sans s'en soucier. En cas de grossesse, des solutions seront trouvées, comme en témoigne le cas extrême de la Première Ministre néo-zélandaise, diagnostiquée infertile mais qui a annoncé sa grossesse naturelle à 37 ans peu après sa prise de fonction – encore une belle démonstration que le stress n'a rien à voir avec l'infertilité.

Je me sens absolument inutile dans ce que je fais. Je radote les mêmes expertises depuis plusieurs années, pour des clients qui changent (car eux ne font pas l’erreur de ne pas évoluer). Mon travail est effectué pour une grande entreprise qui, si je n'étais pas là, ne s'en porterait ni mieux ni plus mal. Je n’apprends plus rien de nouveau. L’ennui, l’impression d’être enfermée dans une routine et l’absence de perspectives m’ôtent toute énergie. Je n’ai aucun projet. J’aimerais en avoir, pour redonner une direction à ma vie, mais je n’ai pas les clés pour le penser. Après une semaine bien remplie, je n’ai pas la force de m’atteler au problème. D’autre part, je suis actuellement la seule dans notre couple à gagner un salaire, pour une durée indéterminée : je ne peux donc pas me permettre de faire une pause pour réfléchir à ce qui me rendrait ma motivation. Nous ne savons même pas dans quelle ville ou quel pays nous habiterons dans un an. Je repense à cet article très ludique mais très bien écrit qui disait que la clé du bonheur réside dans les projets de long terme : c’est tellement vrai. Sans projet, je dépéris.

Je me sens tellement seule. Je n’ai personne avec qui échanger au quotidien sur la souffrance de ne pas avoir d’enfants. Au travail, là encore, il y a les parents d'un côté, et de l'autre les plus jeunes qui construisent leur vie. Je n'envie ni n'idéalise leur vie ; je dis simplement que je me sens bien seule avec mes problèmes. J’ai annoncé récemment à deux amies ce que j’avais traversé ces dernières années : je n’ai reçu aucune réponse de leur part, aucun message de soutien, aucune marque de compréhension. Si j’avais annoncé que j’avais perdu un être cher, mon message serait-il resté sans réponse ? J’en doute. Pourtant, je ressens cette absence d'enfant comme un deuil qui aurait besoin d'être reconnu comme tel.

Ma souffrance provient sans doute, en partie, de ce que je me suis à nouveau trop autorisée à penser l’éventualité d’un avenir avec des enfants. Les vacances y sont toujours propices : difficile d’éviter les endroits où l’on voit des familles quand on voyage (et il y n’y a rien à redire là-dessus). C'est tellement difficile de se construire sur une incertitude, quand une grossesse reste en théorie encore possible, même si sa probabilité est très basse. J’ai l’impression de construire mon identité sur du sable. Dois-je m’autoriser à embrasser pleinement cette vie sans enfant, quitte à devoir prendre mes distances avec tout ce à quoi j’ai adhéré jusqu’ici et à tomber dans une certaine forme de militantisme – car mon esprit ne peut actuellement pas penser autrement qu’en dichotomie ? Je me surprends à vouloir avoir passé l'âge d’avoir des enfants, pour qu'enfin je sente que l'identité que je tente de construire ne changera plus. Elaine l’a écrit dans un article : certains médecins recommandent la contraception aux femmes qui sortent d’un parcours d’AMP sans enfant, pour les aider à faire leur deuil. Pour autant, faire ce pas me semblerait être une trahison, un reniement de ce que j’ai ardemment souhaité ces dernières années.

Ce qui est le plus difficile, ce n’est pas d’emprunter un certain chemin, c’est l’incertitude qui semble ne pas prendre fin. Je sais que je pourrai mener une vie heureuse sans enfant, tout comme je sais que je finirai par changer de travail quand un moment plus propice sera venu. Mais la perspective de passer encore 10 ans avec cette porte ouverte vers la maternité m’effraie parfois. Le désarroi dans lequel me plonge la perte de sens de mon travail ne fait qu'agraver mon sentiment d'extrême fragilité.

Je suppose qu’il est normal de connaître des périodes d’abattement et de se sentir parfois si seule. On est toujours seul devant sa souffrance. Je suis tombée récemment sur cette citation de Vicki Harrison : « Grief is like the ocean; it comes on waves ebbing and flowing. Sometimes the water is calm, and sometimes it is overwhelming. All we can do is learn to swim ». Alors, je tente d'apprendre à nager pendant les moments de temps libre où je peux m'épanouir, en espérant que j'aurai bientôt suffisamment de ressources pour redonner un sens à mon travail et à ma vie.


Je profite de cet article pour signaler qu'Artemise a mis en ligne un nouvel espace de soutien et d'échange relatif à la vie sans enfants : La Parentaise

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À propos de Léa

Ce que j'aime : la musique et le chant, les livres, les langues et les voyages, la montagne et plus généralement la nature, sans oublier les après-midis passés à cuisiner en écoutant la radio.

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