Honnêteté

Je sais que mon blog est lu par des personnes qui ne font pas partie de ma « tribu » d’infertiles. J’ai fait le choix de ne pas cacher son existence aux gens qui me sont chers : je ne voulais ni leur mentir par omission, ni les exclure de cette partie de ma vie que représente désormais l'infertilité. D’autre part, je pense que la société dans son ensemble peut bénéficier d’avancées sur la façon dont nous concevons la parentalité et la fertilité, pour aller vers plus de tolérance et d’empathie envers les choix de vie, imposés ou volontaires, des uns et des autres. Je ne voulais donc pas écrire que pour des personnes déjà gagnées à ma cause.

J’essaie dans mes articles de montrer du respect pour celles et ceux qui ne partagent pas ma réalité, mais cela ne me réussit sans doute pas toujours. Si je suis parfois dure ou blessante, j’en suis désolée. Je sais aussi que certaines choses sont violentes à lire, car elles donnent à voir des sentiments qui peuvent me submerger mais que je ne montre jamais – l'article d'Elaine « Une double vie » m'en apporte la certitude : les personnes qui ne me lisent pas ne pourront jamais avoir accès à ce que je ressens vraiment, car même dans les moments où j'ai touché le fond, j'ai toujours réussi à sourire quand on me demandait comment j'allais. Peut-être, enfin, mon blog est-il difficile à lire car il matérialise non seulement ma perte mais aussi celle de mes proches : je ne serai peut-être jamais ce dont j'ai rêvé, la mère de petits-enfants, de neveux ou de nièces, ni l’amie avec laquelle on peut partir en vacances en famille. Il montre combien l’infertilité peut changer un individu et mettre à l’épreuve ses relations avec son entourage.

Ce que je partage ici, ce n’est pas la réalité brute mais la perception que j'en ai, qui est contaminée par mon vécu – comme l’est la perception de la réalité de chacun d’entre nous. Ecrire me permet de faire corps avec des personnes qui traversent ou ont traversé ce que je vis. Cette communauté m'apporte une aide immense mais n’a pas vocation à remplacer mes amis de longue date ou ma famille. En écrivant, je ne cherche pas non plus à monter les uns contre les autres. Si mes écrits peuvent parfois déranger, il me semble que c’est simplement parce que des voix comme les miennes ne sont que rarement entendues.

En décrivant certaines attitudes qui me blessent, je ne vise personne en particulier, car je sais que l'ignorance et la maladresse sont à mettre sur le compte d'une responsabilité collective et non individuelle, et que je n’aurais pas été différente des autres si je n'avais pas rencontré de difficultés à concevoir. Cependant, il me semble que j'aurais apprécié qu'on me donne les clés pour communiquer avec une frange de la population qui est souvent complètement oubliée. D’autre part, je ne pense pas du tout être la seule à essuyer des réflexions normatives, désagréables ou intrusives sur ma vie ; je suis même persuadée que les parents, notamment, en ont leur lot quotidien.

Mon propos n’est pas, non plus, de dire que la vie des autres serait la félicité absolue et que la mienne est misérable. Je ne fais pas partie de ceux qui ne voient que leur propre malheur et surestiment le bonheur des autres. Je pense sincèrement que mon niveau de bonheur sera le même à terme, avec et sans enfant. Je sais que chacun a ses difficultés et il me semble, du moins est-ce mon impression, que l'infertilité ne m'a jamais empêchée de me préoccuper des autres et de leur manifester mon soutien quand l'occasion m'en a été donnée.

Enfin, je n’idéalise pas du tout la vie de parent : c'est une grande joie de l'être, mais je sais que c'est aussi une tâche ardue, qui peut être éreintante, parfois décourageante, et qui remplit le quotidien et mobilise parfois toute l'attention et l'énergie à sa disposition. Je suis tout à fait capable de l’entendre.

Je peux tenir des propos durs ou sévères mais je ne tomberai pas dans le sectarisme ou le communautarisme. Je continue à aimer les enfants et suis ouverte à des échanges avec les parents. Je suis prête à accueillir des enfants dans ma vie et regrette profondément de ne pas avoir là où j'habite des enfants d’amis ou de ma famille auxquels je puisse consacrer du temps. J’espère que cela changera un jour.

Il est vrai que je parle souvent de ce qui m’a blessée et non de ce qui m’a réconfortée. La sollicitude et l'empathie se manifestent de mille façons. Je peux citer par exemple :
• Les personnes au courant de ma situation qui m’ont annoncé avec beaucoup de tact leur grossesse, en acceptant que cela puisse être difficile pour moi à entendre.
• Les personnes qui m’ont envoyé des messages de soutien au moment des traitements.
• Les personnes qui me préviennent à l’avance d’une grossesse qu’une connaissance commune veut annoncer pour faire une surprise.
• Les parents avec qui je peux continuer à avoir des conversations d’adulte de temps en temps.
• Les personnes qui acceptent de nommer par son nom ce que je traverse : un deuil.
• Des parents qui ont donné mon prénom à leur fille.
• Les personnes qui font l’effort de me comprendre, par exemple en lisant mon blog.
• Les parents qui me font confiance pour garder leurs enfants.
• Les personnes qui m'ont aidée à me changer les idées en m'invitant en week-end ou m'offrant des sorties.
• Les parents qui m’envoient de leurs nouvelles (y compris des photos de leurs enfants) tout en me montrant qu’ils s’intéressent à mon quotidien et me demandant comment je vais.
• Les personnes qui me demandent si j'ai des enfants dans ma vie plutôt que de demander si j'en ai à moi.

Je me rends compte aujourd'hui que ce qui m’aurait touchée au début de mon voyage aurait été qu'on accepte à quel point il est cruel de faire le deuil invisible de quelque chose qu'on n'a pas eu la chance de connaître. Qu'on pleure avec moi, qu'on me dise tout simplement : «  Je suis vraiment désolé(e) de ce qui vous arrive et je suis à vos côtés dans cette épreuve », plutôt que des phrases donnant des espoirs vains sur une grossesse qui n’arrivera peut-être jamais. Qu'on accepte d'en parler sans gêne et sans éluder le sujet. J'écris cela non pour formuler un reproche mais parce que c'est quelque chose dont j'ai pris conscience très tard : au début, j'étais dans le flou le plus total et je ne savais pas ce dont j'avais besoin. Sans doute, aussi, ce besoin varie-t-il selon les individus.

Je vois mon blog comme un lieu de réflexion et d’échange, mais aussi comme un journal de bord du deuil de maternité. Je suis confiante dans l'avenir et persuadée que mes positions évolueront, au fur et à mesure que le temps pansera mes plaies. Et j'espère que tout en remplissant son but premier (m'adresser à des personnes qui traversent la même crise que moi), il contribuera aussi à nourrir les relations avec ceux qui me sont chers.