Musique classique du 20e siècle
Le week-end dernier, j’ai participé à un concert très particulier : celui de la création de plusieurs œuvres du compositeur allemand contemporain Wolfgang Rihm. Le concert avait lieu à l’occasion de la parution d’un nouveau CD ressemblant son œuvre pour orgue, dont certaines pièces de jeunesse n’avaient jamais été jouées en public ou enregistrées. Wolfgang Rihm a grandi dans une famille où la musique n’occupait aucun rôle particulier et il l’a découverte en autodidacte. De son propre aveu, il n’aimait pas travailler son instrument, ce qui l’intéressait était de créer. Il a utilisé l’orgue dans sa jeunesse comme un vaste champ d’expérimentation : il demandait les clés des églises du voisinage pour improviser et tester ses compositions avec ce véritable « instrument-orchestre » qu’est l’orgue.
Lors du concert, nous avons découvert plusieurs œuvres pour orgue, certaines tonales, accessibles et limpides, d’autres très expérimentales et presque insupportables d’émotions. Un des morceaux était un mélange de sons apparemment désordonnés qui ont fait vibrer toute l’église : il m’a semblé que ce n’était pas une musique à comprendre avec son intellect mais à vivre avec tous ses sens, pour se sentir enveloppé d’ondes sonores. Nous avons participé à la création de l’œuvre appelée « Clamatio » pour orgue et bruit de fond. Nous étions chargés du bruit de fond : exclamations, cris, chuchotements, rires ! C’était une expérience presque théâtrale.
Je me rends compte après coup, maintenant que je prépare cet article, que Wolfgang Rihm est l’un des compositeurs majeurs de notre époque. Il a composé plus de 400 œuvres allant de la musique de chambre à l’opéra, travaillé avec les plus grands interprètes comme la violoniste Anne-Sophie Mutter et a été à l’honneur du Festival Présences 2019 de Radio France, à l’occasion duquel il a fait l’objet d’articles dans Télérama, Le Monde, La Croix ou encore Le Figaro. Heureusement pour ma sérénité lors du concert, je n’en savais rien !
Dans l’un de ces entretiens, Wolfgang Rihm dit : « Je refuse que me soit accolée une étiquette. Si je n’obéissais qu’à un style unique, je n’aurais sûrement pas écrit autant. Mais comme je dialogue avec ma musique, je change constamment de style. » Malgré cela, sa musique semble avoir une unité qui fait de lui un compositeur clairement identifiable. Peut-être par la recherche qui le caractérise : l’élargissement des possibles dans la composition, le non-respect des règles, la découverte de nouvelles limites. Dans certains entretiens, Wolfgang Rihm parle de cette musique qu’il a en soi et qui doit sortir, ainsi que du processus créatif, qu’il compare à la poursuite d’un but qu’il ne connaît pas encore : « J’écris toute ma vie un seul et même morceau », comme si chaque œuvre ouvrait les portes qui donne sur la suivante. C’est aussi un artiste total : il compose, dessine et écrit. Sortant d’un an de lutte contre un cancer, il a dit deux phrases qui ont particulièrement résonné en moi : « On ne se remet jamais complètement de cette maladie, on continue à porter en soi cette possibilité de disparition » et « être en bonne santé, cela signifie ne pas faire attention au fonctionnement de son corps ».
Entre deux morceaux d’orgue, nous avons interprété de la musique vocale du 20e siècle :
• Le 130e psaume du compositeur allemand Heinrich Kaminski, composé en 1912 dans un style romantique.
• Quatre motets du compositeur américain Aaron Copland, composés en 1921, alternativement recueillis et joyeux : « Help Us, O Lord », « Thou, O Jehovah, abideth forever », « Have mercy on us, O my Lord », « Sing ye praises to our King ».
• Le dynamique et entraînant Alleluya Psallat composé en 1973 par l’Américain Peter Aston.
• Tota pulchra es, une pièce fluide et suspendue, composé en 1960 par le Français Maurice Duruflé.
• Le contemplatif psaume « Die mit Tränen säen » composé par l’Américain Andrew Rindfleisch en 1998 (et dont je n’ai trouvé aucune vidéo sur Internet).
• Le recueilli Ave Maria composé en 1982 par le Hongrois László Halmos.
J’avoue avoir découvert beaucoup de ces œuvres dont je n’avais jamais entendu parler avant. Et pourtant, elles valent vraiment la peine d’être écoutées. Cela m’a fait réfléchir à notre rapport à la musique classique, à cette tentation de la faire s’arrêter – dans le meilleur des cas – au milieu du 20e siècle (un coup d’œil aux programmations et aux audiences des salles de concert permet de le confirmer). Ceci alors que pendant très longtemps, la musique classique a été une musique vivante, intégrée à son époque : personne ne voulait écouter des œuvres composées 100 ans auparavant mais la dernière composition ou l’improvisation d’un artiste vivant. Cette analogie entre « musique classique » et « musique du passé » est relativement récente. Peut-être est-ce dû au fait que la musique classique contemporaine est parfois réputée pour être difficile d'accès, destinée aux élites, ce qui est certainement parfois le cas, mais pas toujours : quand on se laisse aller vers l’inconnu, on va parfois à l’avant de belles découvertes, harmonieuses et profondes.