Musique de deuil et de consolation

Novembre est passé et l’Avent est déjà bien entamé, mais je voulais encore partager avec vous la musique du dernier concert que nous avons donné il y a un mois avec mon chœur.

Nous y avons chanté l'une de mes œuvres préférées, le Requiem allemand du compositeur romantique Johannes Brahms, composé entre 1854 et 1868. Il s’agit d’une « messe des défunts » (Requiem) particulière puisqu’elle n’utilise pas le texte latin et grec des messes de Requiem des autres compositeurs, de Mozart à Fauré en passant par Verdi. Les paroles sont tirées de différents passages en allemand de la Bible, principalement des psaumes, des évangiles et de l’Apocalypse de Jean. C’est une œuvre sacrée mais pas liturgique, car elle n’a pas été composée pour être chantée pendant un office mais en concert. La taille importante de l’orchestre et du chœur, la présence de solistes pourraient faire penser à un oratorio, mais l’œuvre n’en possède pas les traits distinctifs : il n’y a pas récit à entendre, et aucun long air pour soliste ne vient interrompre le chant du chœur, qui occupe la place principale du début à la fin, donnant au Requiem allemand le caractère d'une symphonie pour chœur et orchestre.
Musicalement, l’œuvre est d’une indescriptible beauté, tour à tour subtile et grandiose. Il me semble qu’elle n’a pas été écrite pour les défunts ou pour parler de Dieu, mais qu’elle met l’homme au centre pour s’adresser à ceux qui restent ici-bas après la perte d'un être cher. Dès le premier mouvement, Selig sind, die da Leid tragen, la promesse de l’apaisement est faite par le chœur a cappella, précédée par une introduction orchestrale où seuls les instruments graves jouent (« Bienheureux ceux qui sont dans la peine car ils seront consolés »).
Je crois entendre dans les mouvements suivants une mise en musique des différentes phases du deuil, sans cesse entrecoupées de notes d’espoir consolatrices (Wie lieblich sind deine Wohnungen, « Comme sont aimables tes demeures, Seigneur Tout-puissant ») :
La colère dans Denn alles Fleisch, es ist wie Gras (« Car toute chair est comme de l’herbe, et toute la splendeur de l’homme comme les fleurs des champs »),
La peur dans Herr, lehre doch mich, dass ein Ende mit mir haben muss (« Seigneur, enseigne-moi que mon existence doit avoir une fin »),
La tristesse dans Ihr habt nun Traurigkeit (« Vous êtes maintenant dans la tristesse »),
La résignation dans Denn wir haben hie keine bleibende Statt (« Car nous n’avons pas ici de cité permanente »),
L’apaisement, qui revient dans le dernier mouvement Selig sind die Toten, die in dem Herrn sterben (« Heureux dès à présent sont ceux qui meurent dans le Seigneur »).

La première partie du concert n’était pas une œuvre pour chœur mais pour orchestre et baryton solo (partie parfois aussi chantée par une mezzo) : les Kindertotenlieder, « Chants pour des enfants défunts », composés par Gustav Mahler entre 1901 et 1904. Ce sont des Lieder accompagnés par une orchestration riche, qui donne parfois l’impression d’écouter de la musique de chambre quand les instruments dialoguent entre eux ou avec la voix.
La musique est écrite sur cinq des 428 poèmes qui composent le cycle des Kindertotenlieder que Friedrich Rückert a écrits en 1833 et 1834, suite à la mort de deux de ses enfants âgés de 3 et 5 ans. Deux ans après la création des Kindertotenlieder, Gustav Mahler perdra lui aussi sa fille aînée à l'âge de 5 ans.
L’œuvre fait entendre avec pudeur et délicatesse la violence et la douleur suprême que représentent la perte d’un enfant. Mais là encore, la consolation et la foi semblent être présentes en filigrane, autant dans le texte que dans la musique.
En ce mois de décembre traditionnellement dédié à la fête, j'ai une pensée émue pour ceux, plus nombreux que nous ne le pensons, qui ont perdu un enfant à un âge où la vie ne faisait que commencer pour eux. Et je laisse ici la parole à Friedrich Rückert et Gustav Mahler.

Nun will die Sonn' so hell aufgehn
A présent le soleil radieux va se lever comme si, la nuit, nul malheur n'avait frappé.
Le malheur n'a frappé que moi seul, tandis que le soleil brille à la ronde.
N'enferme pas la nuit en ton cœur, plonge-la dans la lumière éternelle.
Une lampe s'est éteinte en ma demeure, gloire à la lumière, joie du monde !

Nun seh' ich wohl, warum so dunkle Flammen
Je sais bien désormais pourquoi vos yeux lançaient souvent vers moi ces sombres flammes, oh ces yeux !
Comme si, d'un seul regard, vous vouliez concentrer tout votre pouvoir.
Je ne pressentais pas, alors enveloppé de brumes tissées par une fatalité aveugle, que leur clarté allait déjà s'en retourner vers ce lieu où toutes les clartés ont leur source.
Votre éclat tentait donc de me dire : nous aimerions rester à tes côtés, mais le destin nous l'a refusé. Regarde-nous bien, car nous serons bientôt loin !
Et ces yeux qui, en ces jours, ne sont pour toi que des yeux, deviendront des étoiles dans ta nuit.

Wenn dein Mütterlein
Quand ta tendre mère paraît à la porte et que je tourne la tête pour regarder vers elle, mes yeux ne vont pas d'abord vers son visage, mais vers cet endroit, là tout près du seuil, où je devrais voir ton doux petit visage si tu entrais aussi, rayonnante de joie, comme autrefois, ma petite fille.
Quand ta tendre mère paraît à la porte, à la lueur de sa bougie, toujours il me semble que tu vas venir aussi, te glissant derrière elle, comme autrefois, dans la pièce.
Ô toi, rayon de joie dans la chambre de ton père, ah, rayon de joie trop vite éteint !

Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen
Souvent je me dis qu'ils sont seulement sortis, ils vont bientôt rentrer à la maison.
La journée est belle ! Oh, ne sois pas inquiet, ils font seulement une longue promenade.
Bien sûr, ils sont seulement sortis et vont maintenant renter à la maison.
Oh, ne sois pas inquiet, la journée est belle ! Ils se promènent seulement jusqu'aux collines.
Ils nous ont seulement précédés et ne voudront plus revenir à la maison.
Nous allons les rejoindre, là-haut sur ces collines en plein soleil ! La journée est belle !

In diesem Wetter, in diesem Braus
Par ce mauvais temps, cet ouragan, jamais je n'aurais fait sortir les enfants ; on les a emportés au dehors et je n'ai eu le droit de ne rien dire.
Par ce mauvais temps, cet ouragan, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants, j'aurais eu peur qu'ils tombent malades ; quelles vaines pensées à présent !
Par ce mauvais temps, ce ciel sinistre, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants, j'aurais craint qu'ils ne meurent demain, inutile de craindre à présent.
Par ce mauvais temps, ce ciel sinistre, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants ; on les a emportés au dehors et je n'ai eu le droit de ne rien dire.
Par ce mauvais temps, cet ouragan, ce vent qui hurle, ils reposent comme dans le sein de leur mère. Ne redoutant nulle tempête, protégés par la main de Dieu, ils reposent comme dans le sein de leur mère.


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