Musique du Carême et de la Passion
Depuis que j’habite en Allemagne, je suis beaucoup plus consciente de l’alternance des saisons. En particulier, j’attends toujours avec impatience la fin de l’hiver, lassée des choux et des tomates hollandaises sans aucun goût, pour voir les asperges et la rhubarbe inonder soudainement les étalages des marchés et les cartes des restaurants. C’est devenu pour moi le signal du printemps, comme pour tous les Allemands.
Quel rapport entre les asperges et la musique, me direz-vous ? C’est que la musique aussi me donne la sensation du temps qui passe, grâce aux différents temps liturgiques. Nous avons récemment donné un concert de musique du Carême et de la Passion, qui commençait par le magnifique Miserere du compositeur et chantre pontifical Gregorio Allegri, écrit dans la première partie du 17e siècle. L’œuvre était uniquement chantée dans la chapelle Sixtine pendant la Semaine sainte : il était interdit de l’interpréter en dehors de cette occasion et de reproduire sa partition. Mozart entendit cette pièce à deux reprises en 1770 lors d’un séjour à Rome et écrivit la partition de mémoire, permettant à l'œuvre de sortir du mystère. Une erreur de retranscription tardive, dans les années 1950, fit figurer la partie des solistes une quarte plus haut que dans la partition originale. Cette erreur a été conservée pour la plupart interprétations, donnant à l’œuvre un caractère céleste rarement égalé dans la musique religieuse.
Nous avons ensuite chanté la version pour chœur à quatre voix, dite version viennoise, du Stabat Mater de Pergolesi, écrit à l’origine pour petit orchestre baroque et deux voix solistes de soprano et d'alto. La version pour chœur a été transcrite notamment par Joseph von Eybler, aujourd’hui surtout connu pour avoir été l’un des élèves de Mozart ayant contribué à terminer son Requiem après la mort de ce dernier.
La cantate « Davide penitente » a constitué la dernière partie du programme. Il s’agit d’une œuvre de commande composée par Mozart qui, pressé par le temps, a réutilisé la musique de sa Messe en ut mineur restée inachevée (probablement parce que les messes catholiques n'étaient plus accompagnées de longues œuvres musicales à l’époque de son écriture). Mozart a ajouté à la partition de la messe deux nouveaux airs pour solistes ainsi qu’une cadence finale, et remplacé le texte latin par un texte italien basé sur le Premier livre de Samuel. La musique de l’introduction de l’œuvre est particulièrement tragique. Les airs des solistes contiennent de redoutables coloratures et certains passages donnent à entendre une vraie musique d’opéra.
À présent, la Semaine sainte approche. Nous chanterons avec un petit ensemble vocal de la musique a cappella pour la messe du Jeudi saint : musique de la Renaissance comme le « Tu Solus » du compositeur franco-flamand Josquin des Prés et l’« Ave verum corpus » du compositeur anglais William Byrd, ou encore musique romantique comme l’émouvant « Bleibe, Abend wird es werdens » du compositeur allemand Albert Becker.
Pour la messe du Vendredi saint retentira le Stabat Mater de Vivaldi pour petit ensemble baroque et voix de contralto solo.
Écouter ces musiques composées à travers les époques, cette beauté qui touche au divin, me rend la foi en l’humanité les jours de doute. C'est peut-être, justement, une des missions de la musique religieuse, que de toucher les cœurs et les âmes, pour continuer à avancer malgré les difficultés charriées par le temps qui passe.