Pensées vagabondes
Difficile d’écrire des choses pertinentes alors que notre monde semble naviguer de catastrophe en catastrophe. Nos problèmes mis en perspective semblent bien dérisoires, et la tentation est grande d’arrêter de vivre, submergés par l’impuissance. Peut-être est-ce justement ce que veulent tous les tyrans du monde, réduire au silence même ceux qui ne meurent pas sous leurs bombes.
Que dire alors dans ce contexte ? Je me pose cette question universelle mise en musique par Haendel dans le Messie, que j’ai chanté récemment : « Why do the nations so furiously rage together ? ». Même la France ne m’a jamais parue aussi divisée et les élections à venir révèlent aussi la fatigue démocratique d’une part croissante de la population. Si je comprends certaines révoltes, ma raison échoue en partie à expliquer ce phénomène. Je connais des gens qui défendent les despotes tout en profitant de leur liberté française et de leur petit confort matériel. Peut-être veulent-ils tout détruire pour connaître l’euphorie de la reconstruction. Pour moi, leur nihilisme est surtout la preuve d’un impardonnable manque de clairvoyance.
L’actualité m’a ramenée à l’infertilité de façon totalement inattendue, quand j’ai entendu à la radio que des parents qui avaient choisi de recourir à la GPA ne pouvaient pas aller chercher leur enfant né en Ukraine. Je m’étonne que pas plus de voix ne s’élèvent pour dire que cette situation extrême met au grand jour l’indécence de cette pratique. Aucune blessure narcissique, aussi douloureuse soit-elle, ne justifie la marchandisation du corps d’autres femmes. Sous couvert d’altruisme, des entreprises cupides profitent de la détresse de femmes dans le besoin et de couples qui ne peuvent pas enfanter pour mettre en place une forme d’esclavage moderne. Et tout ce qui importerait maintenant, ce serait de rapatrier sain et sauf le nouveau-né en laissant la mère porteuse à son sort, dans un pays détruit ? Mais comment peut-on se lancer ainsi dans la parentalité et vouloir que son enfant débute sa vie par un épisode aussi sinistre ?
J’écris ces lignes l’esprit encore passablement embrumé par une coriace infection au coronavirus. Curieux sentiment que celui d’être vidée de toute énergie et d’en être réduite à s’isoler totalement pour protéger ses proches.
Au fil de mes pérégrinations sur Internet, je suis tombée sur un roman paru l’an dernier, « La peau des pêches » de Salomé Berlioux, qui raconte l’histoire d’un couple qui ne peut pas avoir d’enfant. Je n’ai pas lu le livre, mais cette citation trouvée sur Babelio m’a parlé : « Aujourd'hui, j'ai honte du sentiment d'invincibilité qui m'habitait alors. Je n'avais aucun doute. Pourquoi en aurais-je eu ? Je ne connaissais l'infertilité que de nom. Pas plus qu'une ombre sur un mur. De cela, je sais avoir été en colère. Pourquoi ne m'avait-on pas prévenue ? Comment avais-je pu vivre si longtemps dans la méconnaissance d'une réalité qui était partout ? Où se trouvaient les femmes qui auraient pu me parler ? Pourquoi un tel silence ? » Ce sont des pensées qui m’ont également habitée, pendant longtemps. Mais je pense aujourd’hui que ces femmes existent. Elles parlent. Mais personne, ou si peu de monde, ne veut les entendre. On leur répond souvent par l’incompréhension ou en minimisant leur peine. En témoignent certains commentaires au sujet d’une critique du livre publiée dans le Figaro, condensé édifiant de misogynie et de suffisance face à la souffrance de l’autre. A toute cette haine stérile, je réponds par une autre citation du livre : « Les parents sont majoritaires. Souvent sans se poser de questions. Pourquoi s'en poseraient-ils? Quand on respire sans difficulté, on ne sait pas que l'on respire. »