Si la naissance d’un enfant peut mettre un couple à l’épreuve, l’infertilité est également un facteur majeur de déstabilisation. Alors que beaucoup sont conscients du changement d’équilibre qui sera nécessaire après l'arrivée d’un enfant, les couples ont rarement anticipé le fait que le retard ou l’absence de grossesse puisse faire vaciller même les relations les plus solides.
Aujourd'hui, je pense que c'est le mariage qui a sauvé notre couple. Ce mariage, c’est mon mari qui l’a voulu en premier lieu. De mon côté, je voulais des enfants, point. Nous avions derrière nous 6 ans de vie commune et je trouvais qu'il était temps. Mais mon mari a insisté pour que nous nous mariions avant. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : « Quand deux personnes envisagent d’avoir des enfants, c’est qu’elles prévoient de rester ensemble toute leur vie. Et c’est exactement cela qu’est le mariage : un engagement pour la vie. » J'ai trouvé son raisonnement cohérent et je suis étonnée que si peu de personnes le fassent aujourd'hui. Bien entendu, le mariage n'offre pas la garantie que le couple survivra à tous les aléas de la vie. Mais il me semble qu'il est la preuve que deux personnes s'engagent à travailler ensemble sur leur relation pour la faire durer.
Nous avions déjà traversé des crises, mais celle causée par l’infertilité a été d'une amplitude inégalée jusque-là. D’abord parce que nous n’avons pas réagi de la même façon à l’absence de grossesse. J’ai peu à peu sombré dans le désespoir : je ne voyais plus aucun sens à ma vie, je tenais des propos irrationnels, envieux envers certaines personnes et haineux envers moi-même, je me sentais seule et incomprise, je ne pensais plus qu’à cette absence d’enfant et ne parvenais plus à me réjouir de ce que j’avais. En face, mon mari me semblait peu affecté : il restait calme et me consolait, tout en étant effrayé par mes propos et mes pensées. Ensuite parce que la médicalisation du désir d’enfant est un fardeau que la femme doit porter en grande partie seule : j’avais mal, j’avais peur, je ne supportais pas de me sentir nulle au travail (à cause de mes absences répétées) ni de faire sortir notre intimité de la sphère privée. Je devais décider seule jusqu'où je pouvais aller physiquement et psychologiquement, car l'homme reste de facto extérieur au processus. Il ne peut que regarder impuissant la femme souffrir et la soutenir du mieux qu'il peut.
Je pense que c’est parce que nous étions mariés que la tentation de nous séparer n’a jamais été que très lointaine, malgré toutes les difficultés. J'aurais vécu comme un nouvel échec de ne pas réussir à rester fidèle à mon engagement. Je l'ai dit plus haut : pour moi, inscrire son couple dans le temps long est un réel travail. Je ne pense pas que seul l'amour suffise à apaiser toutes les tensions. Il faut beaucoup de dialogue, et parfois de l'aide extérieure pour passer certaines tempêtes. J'admire sincèrement ceux qui parviennent à ne pas se décourager devant les difficultés et à assumer jusqu'au bout les conséquences de leurs actes sans y être invités par les liens du mariage. Pour revenir à notre histoire, je me suis forcée à revenir à la raison. La lecture et l’écriture m’ont aidée à nommer puis à laisser place à mon deuil de maternité. Cela a aussi marqué le retour d'un dialogue constructif avec mon mari. J’ai compris qu’il souffrait lui aussi de l’absence d’enfant, mais qu'il ne s'était pas autorisé à laisser de place à ses propres sentiments quand je m’étais effondrée.
Une des choses dont j'ai pris conscience est que le couple doit être protégé et aimé pour ce qu’il est, et qu’il n’est pas qu’un moyen d’enfanter. Après coup, cela me semble évident, et pourtant j’ai perdu cela de vue au milieu de la crise. A un moment, j’ai risqué de noyer notre relation dans mon désir inassouvi d’enfant. Je pense que même les parents peuvent comprendre cela : c'est également un défi de continuer à voir l'autre comme un partenaire, et non pas seulement comme le père ou la mère de ses enfants, quand on est pris dans le stress et la fatigue du quotidien.
Survivre à la crise a fait décupler notre amour et notre connivence. Notre amour lui-même est devenu notre enfant et jamais nous n'avons été plus soudés. Il nous reste de cette épreuve une fierté de voir ce que nous avons surmonté ensemble et une certaine confiance en l’avenir. Il nous reste le réconfort d’avoir choisi de rester ensemble plutôt que de chercher ailleurs la possibilité d’une parentalité. Tout comme elle m'a permis d'identifier et de chérir encore plus les amitiés vraies, tout comme elle m'a révélée à moi-même, l'infertilité m'a fait redécouvrir mon couple.
Il y a peu, j’ai ouvert un sachet de thé sur lequel était écrite la citation suivante : « Être une famille, c’est ne faire qu’un ». J’ai trouvé cette phrase très juste : mon mari et moi ne remplissons peut-être pas les conditions pour être une famille dans le sens traditionnel du terme. Mais nous sommes beaucoup plus que juste deux personnes qui vivent ensemble. Comme un parent peut le faire avec son enfant, chacun de nous garde toujours l’autre dans un coin de son cœur et de sa tête. Je vois le monde avec mes yeux mais aussi ceux de mon mari : je sais ce qu’il aurait pensé, aimé ou détesté dans chaque situation de la vie.
Un couple qui n'est pas soudé par le ciment d'enfants communs doit inventer un nouveau sens à son existence. C'est une tâche ardue et un défi de tous les jours, mais qui peut permettre de magnifier l'amour et souder un lien unique entre deux êtres.
Elaine a écrit un article sur le rapport au deuil au sein du couple sur son blog, qu’elle a également traduit en anglais.
Mali a également écrit sur la façon dont l'infertilité a renforcé son couple.