Toutes les personnes qui doivent renoncer à la concrétisation de leur désir d’enfant sont confrontées au même problème : Comment faire son deuil de quelque chose qu’on n’a pas eu la chance de connaître ? Deux points mentionnés dans la « Déclaration des droits des personnes en deuil » font défaut aux personnes qui restent sans enfant contre leur volonté : il n’existe aucun rite officiel pour faire ses adieux à un projet d’enfant, et il est impossible de chérir les souvenirs de la personne aimée.
Avoir eu un cadre me permettant d’officialiser mon deuil pour moi-même mais également avec mes proches m’aurait aidée à avancer. Ce n’est pas pour rien que les familles se regroupent pour pleurer leurs défunts et que les rites funéraires ont une telle importance quelle que soit la société dans laquelle on vit. Un rituel, c'est une manière de rendre tangible une chose qui ne l'est pas.
Mon mari et moi n’avons aucune tombe à honorer, aucun souvenir à chérir, nous n’avons reçu aucun message de condoléances. Rares sont ceux qui nous demandent régulièrement comment nous nous sentons par rapport à cette expérience. Nous restons seuls avec nos rêves brisés et devons inventer nous-mêmes des symboles pour honorer la mémoire de nos enfants non nés. Si certains sont tentés de me reprocher de ne pas me réjouir à l’annonce d’une grossesse ou d’une naissance, j’ai envie de leur demander ce qu’eux-mêmes ont fait pour m’accompagner dans mon deuil ? Se sont-ils rendu compte à quel point cela a pu me coûter d’envoyer une carte de félicitations ou un cadeau pour une naissance ?
C’est à chaque couple d’inventer ses rituels. Elaine l’a très bien écrit dans son article sur le sujet. Lorsque nous avons décidé d’arrêter l’assistance médicale à la procréation, j’avais d’abord pensé écrire à nos amis et notre famille un « faire-part d’abandon des traitements », expliquant ce que nous avions traversé, annonçant que nous décidions d’aller de l’avant et étions à nouveau disponibles pour des conversations qui ne tourneraient plus qu’autour de nos aventures médicales. Mais j’ai abandonné cette idée car personne n’aurait compris cette démarche. Nous avons traversé à deux les plus grands moments de détresse. Notre rituel sera à cette image, restreint à notre couple. Nous avons fait fabriquer une bague que je porterai, comme j’aurais porté nos enfants, dans lequel les prénoms que nous avions choisis sont gravés. Je la porte depuis 10 jours maintenant : rares sont ceux qui l'ont remarquée, comme notre deuil.
Ce blog est aussi, d’une certaine manière, notre enfant. J’en ai porté l’idée en moi, j’ai mûri sa forme et les premiers articles pendant plusieurs mois. Je me suis sentie investie de la mission de mener à bien ce projet. Tout comme notre enfant l’aurait été, il est la sublimation de l’amour que je porte à mon mari : je le veux optimiste, réfléchi, ouvert sur le monde. J’espère qu’il en sera ainsi.