Noël autrement
S’il y a des vacances qui sont, presque par essence, connotées « famille », ce sont bien celles de Noël. Pour certains, cette fête semble même être synonyme d’« enfants », comme ce couple d’amis dont nous n’avions jamais reçu la moindre carte de vœux, jusqu’à cette année, où une photo d’eux avec leur premier enfant nous attendait dans notre boîte aux lettres. Comme si leur statut de parents leur avait donné la légitimité nécessaire pour, enfin, célébrer Noël comme il se doit.
Je ne fais pas partie de celles chez qui les fêtes de fin d’année réveillent la douleur de ne pas être mère (parce que ma famille, pour moi, c’est avant tout celle que j’ai la chance d’avoir, mes parents, mes sœurs, mon mari, et non pas mes hypothétiques enfants), mais je constate toujours, avec impuissance et une certaine frustration, combien il est difficile de mettre en question les obligations familiales qui vont de pair avec cette période.
Dans ma tête, il était clair qu’à partir du moment où nous aurions des enfants, mon mari et moi irions passer Noël tour à tour chez nos parents respectifs pendant quelques années encore puis que, un beau jour, nous déciderions de fonder « notre » Noël avec notre famille nucléaire, en restant chez nous. En quelque sorte, et même si je n’osais pas me l’avouer, les enfants nous auraient fourni un alibi pour ne plus avoir à traverser l’Allemagne de part en part dans des trains bondés, transportant cadeaux, poussette, nourriture et jouets, tout cela pour ne pas décevoir mes beaux-parents, qui comptent sur leur fils pour vivre quelques journées de (t)rêve par an et contraster avec le quotidien plus que morose d’une vie qu’ils n’ont pas su construire à la hauteur de leurs attentes.
Mais voilà, sans enfant, cette porte vers le « fêter Noël autrement » me semble bien difficile à ouvrir. Je lis partout qu’il faudrait s’approprier les fêtes et que, pour notre propre bien, nous devrions nous octroyer la liberté de choisir comment passer ces rares jours de l’année où la course folle du monde semble ralentir. En théorie, je suis d’accord. L’« esprit de Noël », cela ne devrait pas être jouer la comédie afin de maintenir l’illusion d’une famille unie et aimante au pied du sapin, mais plutôt choisir les meilleures conditions pour se reposer d’une année bien remplie, profiter de ceux que l’on aime et, surtout, laisser de côté tristesse, frustration et colère. Mais en pratique, il n’est pas si facile de dire à des personnes âgées dépendantes que l’on préfère simplement rester chez soi, voire entreprendre un voyage, pour fêter Noël à deux. Il me semble que le sens du devoir est parfois un ciment puissant pour maintenir les relations au sein d’une famille de personnes qui n’ont pas grand chose à se dire, et que je commettrais un chantage injuste en demandant à mon mari de choisir entre ses parents et moi.
En réalité, même des personnes qui n’ont pas d’obligations envers leur propre famille peuvent rencontrer des difficultés à fêter Noël comme elles l'entendent. Elles se voient souvent confrontées à la règle implicite selon laquelle il n’est pas acceptable de fêter Noël en dehors du cercle familial. Cette idée est louable si elle vise à aider des personnes qui souffrent de leur situation, mais un véritable poids pour les autres. Une amie à moi, sans enfants, célibataire (et heureuse de l’être), n’envisage pas pour les fêtes de meilleur programme que de passer des journées entières en pyjama sans mettre le nez dehors, à manger ce qui lui chante et à regarder des séries pendant des heures avec son chat sur les genoux. Et pourtant, chaque année, elle a toutes les peines du monde à décliner les invitations des diverses familles (même pas la sienne, qui accepte son choix), qui lui servent du « viens chez nous pour le réveillon, tu ne peux tout de même pas préférer être seule à Noël, c’est triste ! ». Parfois même, son refus n’est accepté qu’au prix d’une concession, comme remettre sa visite au lendemain de Noël, pour, au moins, échapper à l’interminable et bruyante session d’ouverture des cadeaux par les enfants, à laquelle elle n'a aucune envie d'assister. Son choix semble, aux yeux de certains, bouleverser l’ordre du monde, et, même après avoir tourné le problème maintes fois dans ma tête, je ne comprends toujours pas pourquoi une personne qui souhaite être seule à cette période fait l’objet de tant de commisération, ses interlocuteurs semblant croire qu’elle ne sait pas ce qui est bon pour elle.
Pour revenir à notre Noël, mon mari et moi essayons, à petits pas et en composant avec les contraintes actuelles, de nous l’approprier comme nous pouvons. Nous nous offrons la plupart de nos cadeaux chez nous, avant de partir, pour avoir tout de même une soirée à deux. Nous volons quelques heures de liberté entre deux conversations épuisantes, pour faire un tour en vélo ou découvrir un petit café cosy installé dans un ancien salon de coiffure. Nous rions sous cape au sujet de situations parfois ubuesques. Nous essayons d’élargir le champ des possibles en proposant des variations sur l’indétrônable salade de pommes de terre du réveillon – à cette occasion, je me rends compte que le strict respect des traditions est à mes yeux le reflet d’un ennuyeux manque d’imagination. Et nous respirons un grand coup une fois dans le bateau qui nous emmène sur une île de la mer du Nord pour nous remettre de nos émotions en passant le Nouvel An tous les deux.
Je vous souhaite de passer les fêtes les plus douces possibles, avec les ingrédients à votre disposition.