J’ai lu la bande dessinée de Fabien Toulmé « Ce n’est pas toi que j’attendais ». Il y raconte la naissance de sa fille porteuse d’une trisomie non dépistée.
L'auteur décrit avec une grande honnêteté ses sentiments de la première heure : la colère et le rejet, l’effondrement et la peur de ne pas être à la hauteur de la tâche. En découvrant sa réaction, je me suis dit que nos enfants sont avant tout un produit de notre imagination, que nous puissions en avoir ou non. À la naissance d'un enfant « différent », le père doit faire le deuil de l’enfant dont il avait rêvé. Mais ce deuil de l'enfant imaginé, il touche peut-être tous les parents à des degrés différents. Certains rêvent d'une fille et ont un garçon. D'autres rêvent que leur enfant devienne médecin, et il préfère se tourner vers un autre métier. Moi-même, en assistant hier à une représentation de l'opéra Carmen, je me suis prise à imaginer mes enfants dans le Chœur des Gamins.
La bande dessinée est avant tout le récit d’une rencontre entre un père et son enfant réel, celui du chemin vers l’acceptation et l’amour de l’autre tel qu’il est. Il me semble que dans une société où nous tentons de tout contrôler, cette expérience extrême nous force à faire ce que nous n’avons plus l’habitude de faire : accepter la violence de l'incertitude et de l’imprévu. Et elle nous confronte avec une réalité trop souvent occultée : donner la vie est une équation fragile et délicate.
Au début du livre, l’auteur cite un poème issu du Prophète de Kahlil Gibran. Quelle sagesse et quelle beauté dans ces mots :
Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie ;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.