J’ai écouté le reportage « Les familles du 13 novembre : comment vivre avec l’absence ? », diffusé récemment sur France Culture. Ironie du sort, j'achève la rédaction de cet article à l'heure où un nouvel attentat endeuille des familles en pleine période de l'Avent.
Le moment où j’ai appris qu’il y avait eu des attentats terriblement meurtriers à Paris le vendredi 13 novembre 2015 restera à jamais gravé dans ma mémoire. C’était au réveil, le samedi, après avoir regardé les informations suite à un message de ma sœur me disant qu’elle allait bien. J’ai contemplé abasourdie le fil d’information du Monde qui faisait le décompte des morts et des blessés. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai été dans un état second, à la fois d’incrédulité et d’immense tristesse, qui a supplanté ma propre peine due à l’absence de grossesse. Je ne comprenais plus, de toute façon, pourquoi je souhaitais tant enfanter dans un monde capable de créer pareille horreur.
Le reportage donne la parole aux parents qui ont perdu leur enfant et laisse entrevoir comment ils vivent avec l’absence et le deuil. Beaucoup de choses m’ont parlé et permis de mettre des mots sur certaines choses que j'ai ressenties lorsque j'ai compris que je n'aurais pas d'enfant, au moment où personne, moi incluse, n'a compris ce qui se jouait.
Cette mère pour qui rien ne serait jamais comme avant. Ce père qui dit que sa vie a été coupée en deux, qu’il y a un avant et un après.
Ces personnes qui ont témoigné de leur vécu dans le cadre d’une étude menée par le CNRS ou créé des associations, pour redevenir actrices de leur propre vie et sortir du seul statut de victime. Ce père qui confirme l’importance de parler de son expérience, et de témoigner à la première personne pour sensibiliser les jeunes.
La colère et la révolte de cet autre père.
Cette mère qui a dû cesser d’exercer son métier de professeur car voir des élèves joyeux et pleins de vie lui rappelant son fils disparu était au-dessus de ses forces.
Ce père pour qui l’existence d’une mémoire collective autour de l’événement a été une forme de réconfort.
Cette mère qui ne sait pas comment elle a fait pour survivre mais qui dit qu'elle n'avait simplement pas le choix.
Le vécu qui bouleverse ce à quoi on a cru jusque-là. La méfiance qui s’est installée chez certains.
La définition du trouble de stress post-traumatique : le passé qui envahit durablement le présent. L’entourage pour qui il est difficile de concevoir la persistance du traumatisme et se sent démuni face aux personnes qui ressassent. La solitude des personnes quand leur douleur n’est plus audible par leurs proches. La polarisation de leur vie autour de la personne disparue.
Le temps long du deuil, qui n’est pas compressible.
L’autisme des dirigeants et de la société qui ont refusé de prendre conscience qu’un tel drame pouvait survenir, laissant les victimes seules dans le chaos au moment où elles ont eu besoin de soutien.
L’importance de la parole et de l’échange avec des pairs, de l’accompagnement, de se connaître et de s’écouter.
Le besoin d’action pour reprendre la maîtrise de sa vie et faire quelque chose du drame qu’on a vécu.
L’importance de renvoyer dans le passé l’événement douloureux, de le mettre à distance tout en en gardant la mémoire, pour pouvoir aborder le futur. De passer de l’émotion à l’intelligence des choses et à la réflexion.
Quel choc d'écouter ces parents parler de leur enfant disparu trop tôt, le destin ayant bouleversé l'ordre des générations. J'espère que chacun pourra à terme retrouver un sens à sa vie malgré le traumatisme.