Premier article cette année… je ne sais pas comment reprendre le fil de mes idées.
2020 a fini sur une grande joie, le sentiment d’être une privilégiée, simplement par ce que j’ai pu passer Noël avec ma famille. Ce qui semblait acquis avant la crise du Covid ne l’est plus aujourd’hui. J’ai retrouvé les joies simples, une impression de normalité. Quelques jours avant, Noël s’était subitement rappelé à moi grâce à un extrait de l’Oratorio de Noël de Bach.
La quarantaine au retour en Allemagne m’a fait me sentir étrangère, non désirée dans ce pays. D’autres revenaient des fêtes passées au sein de leurs familles allemandes et étaient libres de sortir de chez eux, juste parce qu’ils n’avaient pas passé de frontière. J’ai entrevu avec amertume que la pandémie clivait l’Europe mais aussi la société au sein d’un même pays. J’ai pensé que ces règles créaient une peur de l’autre et j’ai eu le sentiment qu’on m’infligeait une punition car je venais d’ailleurs.
Lors de notre première sortie après 2 semaines enfermés, mon mari et moi avons profité de la neige dans les contreforts de la Forêt Noire. Nous avons espéré très fort que cette nouvelle année serait plus douce, moins solitaire, moins marquée sous le sceau des soucis.
Si je tire le bilan des derniers mois, je dois reconnaître que cette année a été plus difficile encore que la précédente.
La lutte contre la pandémie s’est installée dans la durée. Contrairement au printemps 2020, où j’avais supporté avec confiance les restrictions, parce qu’elles me semblaient nécessaires et utiles face à l’urgence, j’ai été submergée par un sentiment de lassitude immense. Je ne voyais plus dans la gestion de la crise une expérience collective nouvelle, qui faisait de nous une société plus solidaire, mais des règles forcément imparfaites dont on ne voyait pas venir la fin, qui tuaient le lien social et transformaient chaque étincelle de vie en cas de conscience.
Au poids de la pandémie se sont ajoutées diverses inquiétudes dans ma vie privée : grand âge, drames personnels ou encore difficultés professionnelles de plusieurs de mes proches. Paradoxe : j’étais isolée physiquement par les contraintes sanitaires, mais en permanence connectée mentalement à ceux que j’aimais. Leur fardeau s’était ajouté au mien, et cela augmentait encore mon sentiment d’impuissance. A côté, je travaillais jour et nuit, soit pour mon travail, soit pour ma reprise d’études. Un trop-plein de labeur mais surtout d’interactions virtuelles et parfois conflictuelles avec collègues et clients, une avalanche de sollicitations dont le caractère futile contrastait avec la prétendue urgence. Jusqu’au mois de juin, où mon cerveau en ébullition ne m’a plus laissée dormir pendant plusieurs semaines et où mon corps a fini par se détraquer complètement. Je me suis effondrée.
Aujourd’hui, j’ai repris le travail après plusieurs semaines d’une pause salutaire, mais je sens encore que mon équilibre est fragile. Je tente d’apprendre que prendre soin de moi est une obligation comme les autres. Parfois, je me sens à nouveau comme une collégienne tant j’ai perdu confiance en moi (et je ne comprends même pas vraiment pourquoi). J’ai du mal à chanter : c’est difficile quand on a l’impression que des pierres vous écrasent la poitrine et que le plafond vous tombe sur la tête. Parfois, tout me semble bouché et j’ai envie de fuir même si je ne sais pas où, alors je sors pour marcher et stopper le cours de mes pensées, comme dans cette chanson qu’une amie m’a fait découvrir.
En délaissant la blogosphère, j’ai eu l’impression d’être amputée d’une partie de moi-même et de ne pas laisser assez de place à mes émotions. Mais mon cerveau n’avait pas la capacité de gérer encore plus de canaux de communication et d’information. En écrivant cet article, je ne sais pas non plus quand j’aurai l’énergie d’écrire et de publier le prochain.
Au cours des derniers mois, il y a eu quelques moments où le désir d’enfant non comblé s’est rappelé à moi.
Quand la tristesse m’a prise par surprise à l’annonce de la grossesse d’une collègue, dont je sais qu’elle a attendu son tour longtemps. Cela m’a rappelé que je faisais partie d’une minorité et que la plupart des couples qui le souhaitaient finissaient bel et bien par avoir un enfant. Cela m’a aussi fait prendre conscience que beaucoup de parents se réjouissaient de la grossesse des autres couples simplement parce qu’ils allaient devenir « comme eux ».
Quand j’ai tenté d’apporter mon soutien à une amie qui a dû procéder à une interruption médicale de grossesse. En prenant le temps de l’aider, alors qu’il ne s’agit pas d’une personne dont je suis particulièrement proche, j’ai compris que le deuil d’enfant faisait trop partie de moi pour que j’ignore sa demande.
Quand mon beau-père est décédé en début d’année, et que je me suis dit avec regret que sa lignée s’arrêterait peut-être après son fils. Puis quand nous avons eu à gérer ma belle-mère, et que je me suis demandé si c’était une si mauvaise chose…
Quand une collègue a critiqué les mesures sanitaires en disant : « cette politique est tellement dure pour nos jeunes, on voit bien que tous ces dirigeants n’ont pas eu d’enfants ». Comme s’il fallait avoir vécu toutes les possibilités de la vie pour être en capacité de prendre une décision réfléchie. Comme si cette mère, à l’inverse, avait la moindre idée de ce qui se passe dans la tête des personnes sans enfants. Comme si les dirigeants en question n’avaient pas dans leur entourage direct affaire à des enfants et des adolescents.
Quand une connaissance m’a bombardée de photos de son petit-fils né récemment, dont je ne connais même pas les parents et que je rencontrerai jamais, alors qu’elle sait que ce n’est pas par choix que je n’ai pas d’enfants. Même après toutes ces années, les gens avec lesquels j’apprécie de parler grossesse ou nouveau-nés se comptent sur les doigts d’une main.
Malgré cela, l’absence d’enfant est aujourd’hui passée au second plan de mes préoccupations. Si je suis perdue en ce moment, c’est plus parce que j’ai l’impression de ne pas maîtriser le cours de ma vie. J’ai envie de changement, mais ma liberté de décision est entravée par plusieurs incertitudes sur lesquelles il me semble que je n’ai aucun pouvoir. Cela met parfois mon couple à rude épreuve. Je sais qu’il faut que je me contente de petites choses : marcher, profiter de la nature, choisir les émotions auxquelles je laisse de la place, faire un pas après l’autre. Doucement, j’essaie de me dire qu’une perspective est là, quelque part, même si je ne la vois pas encore.