Infertilité

Quand les femmes infertiles ressemblent aux femmes enceintes

Je suis tombée il y a quelque temps déjà sur l’article d’un blog très bien écrit, intitulé : « Que dire à une femme enceinte ? » (article aujourd'hui seulement disponible sur les archives du web). J’ai aimé cet article car il donne à voir qu’à partir du moment où une femme est enceinte, son entourage s’octroie le droit de lui donner tous les conseils possibles et imaginables. Son corps ne lui appartient plus vraiment, il semble devenir un bien public sur lequel n’importe qui peut faire des remarques plus ou moins incongrues.
Puis j’ai relu l’article, et pensé que beaucoup de passages s’appliquaient parfaitement aux femmes infertiles, moyennant quelques changements de mots, dans la tradition du « word swap » initiée par Pamela Mahoney Tsigdinos pour montrer que nous sommes tous, chacun à notre tour, victimes d'indélicatesse et de jugements, et que nous avons souvent beaucoup plus en commun avec notre entourage que nous le pensons.
Voici donc l’article de Céline, dont seuls les mots en italique ont été modifiés :

« Je ne connaissais pas ce monde. Je l’apprivoise comme on pénètre dans une forêt mystérieuse, je voudrais le conjurer et le nommer, le comprendre avant qu’il ne m’anéantisse, puisqu’il est de son essence de durer. J’ignorais tout du pays des femmes infertiles. Je ne savais pas qu’il était très long, mais très grand et très effrayant aussi, qu’il faisait peur la nuit, et même parfois le jour ; je ne savais pas ses monstres, je ne savais ni ses étincelles ni ses espoirs brisés. Je découvre son Malin et sa Désolation tout à la fois.
En bientôt cinq mois, j’ai collectionné les petites phrases que j’ai reçues, et que j’ai pu trouver maladroites, parfois blessantes, parfois (sans que l’effet fût volontaire) pour le moins agaçantes. Je me suis dit des dizaines de fois qu’avant, j’aurais adoré savoir un peu ce qu’il faut dire (ou ne pas dire) à une femme infertile. Je vous fais donc la liste, on ne sait jamais, ça peut vous servir, à vous ou votre entourage.
Il est entendu que c’est sûrement subjectif, et que d’aucunes seront moins sensibles que moi (mais d’autres le seront plus).

Ne pas dire à une femme infertile. (S’il vous plaît.)
Mais t’es enceinte, non ?
Le premier et non des moindres : tant que le Pregnancy-coming-out n’est pas fait, on se tait, voilà. Parce que, deux hypothèses :
- La concernée n’est pas enceinte, et ça risque de lui faire de la peine. (Beaucoup.)
- La concernée l’est, mais n’a pas décidé de le dire encore, donc on respecte et on attend, plutôt que lui donner l’impression qu’on force les choses, on qu’on viole une affaire un peu intime.

Ah oui, je le savais déjà. (Juste après l’explication de la situation d’infertilité)
Alors là, je crois que j’ai collectionné cette phrase par demi-douzaines. J’ai trouvé tellement surprenant et curieux (pour ne pas dire blessant) que l’on fasse si souvent passer une quelconque compassion, une peine sincère, après cette sorte de besoin impérial de dire que je m’en doutais. Il y a toujours alors une sorte de vantardise, peut-être due à un besoin un peu primaire d’avoir toutes les cartes en main, et de ne pas accepter que l’on fût passé à côté de quelque chose. (…) Donc deux hypothèses :
- Vous ne le saviez pas vraiment (avouez), au mieux vous aviez quelques soupçons mais sincèrement, arrêtez de penser que n’importe quelle femme sans enfant est potentiellement en manque d’enfant, s’il vous plaît.
- Vous le saviez vraiment, et dans ce cas, taisez-vous et laissez s’exprimer votre compréhension pour la femme infertile, plutôt que de ramener les choses à vous.

Ça n’est pas grave, il y a pire !
Non, non, non, comment dire : on ne s’exclame pas sur le fait que la femme infertile a des problèmes superflus. Lorsqu’on est infertile, scoop : on angoisse déjà bien assez sur son avenir. Sans aucun repère, on alterne entre la peur de ne jamais devenir mère, que le bébé ait des séquelles du fait des traitements (ou même, au début d’une grossesse, qu’il ne soit plus vraiment là), et la gêne due aux effets secondaires de la PMA. Or, j’ai découvert qu’il n’est pas possible de forcer une personne triste à aller mieux. On n’a donc pas spécialement besoin qu’on nous rassure faussement (même si souvent, cela part d’un bon sentiment, dans l’idée profite de la vie ! : dans ces cas-là, on angoisse souvent de ne pas être mère alors même que tout le monde autour de nous le devient.)

Oh là là, ça doit être terrible !
Ah, la femme infertile est un petit être tellement paradoxal ! Oui, à l’inverse, ça a pu tout autant me blesser que l’on me fasse remarquer (parfois à deux jours d’intervalle avec la remarque précédente d’ailleurs) que, oh mon dieu, mon cas était si désespéré. Pour être claire : on ne commente pas la situation d’une femme infertile qu’on ne connaît pas à moins qu’elle n’entame elle-même la conversation à ce sujet. C’est déjà assez difficile comme ça de devoir manquer sans cesse au travail à cause des rendez-vous à la clinique de PMA, elle ne va pas non plus devenir objet de pitié qui se mue chez elle en inquiétudes.

Oui alors moi mon premier traitement d’infertilité je me souviens bien, c’était en 1995
Parlons peu, parlons bien : la femme infertile n’a pas particulièrement envie d’être une sorte de gros déclencheur ambulant d’anecdotes personnelles et de souvenirs étalés. Tout dépend de l’intention : si vous racontez un peu de vous avec pour seul objectif celui de lui montrer que vous la comprenez, c’est différent. Si, au contraire, cela peut lui donner de faux espoirs, parce que votre expérience fut tout de suite couronnée de succès ou que votre traitement fut particulièrement facile, il y a fort à parier que cela la renvoie à ses propres échecs. De même, si c’est une sorte de « moi, j’ai tellement bien vécu mes traitements », cela ne sert pas à grand-chose. Je crois que cela fonctionne un peu comme les femmes qui disent « oh moi, je suis tombée tout de suite enceinte. » Arrêtons : il n’y a pas de certitudes en matière de procréation.

Et, vous savez pourquoi ?
Alors j’avoue que celle-là m’agace beaucoup. Pourquoi ? Alors, on a hésité entre une azoospermie et une endométriose, on a fini par être diagnostiqués des deux.

Et ton homme, il sait pas y faire ou quoi ? (Souvent suivi du clin d’œil de la mort)
Si si, il a pris des photos de la salle de prélèvements, attends, je te montre, et aussi j’ai les résultats du spermogramme, tu veux voir ?

Mais tu as pris combien de kilos, exactement ?
Sans commentaire… (…)

Profite de ta liberté, parce qu’après, quand tu seras mère, c’est tellement dur, c’est horrible, oh là là.
Je sais, j’ai peur, chut, arrêtez avec « c’est tellement dur », enfin, j’ai bien compris. (Si en plus vous n’êtes pas particulièrement proche de la femme infertile, c’est encore plus curieux de lui donner des pseudo-avertissements dont elle n’a pas forcément besoin, restez donc plutôt silencieux.) Et puis, vous ne savez pas comment elle vit cette période, évitez de dire « le meilleur c’est d’être à deux », parce que la femme n’est peut-être pas au mieux de sa forme et/ou de son moral, et c’est dans ce cas particulièrement difficile à entendre.

Le Charybde et Scylla : Agir comme si elle n’était PAS infertile // Ne parler que de ça.
Oui, certains sont dans le déni total et la laissent pleurer sans sourciller, et d’autres semblent ne voir en elle qu’un ventre vide support à anecdotes. Autrement dit, certains ne voient pas pourquoi on ne vivrait pas tout comme d’habitude, et d’autres ne la regardent plus vraiment dans les yeux…

Mais que dire alors ?
Si vous ne faites pas partie de l’entourage très proche de la femme infertile concernée (…), la meilleure chose à faire est de rester un peu discret. Je n’ai jamais tant aimé les personnes qui ne m’ignoraient pas, qui ne faisaient pas de commentaire de semaines en semaines sur mon cas mais me prévenaient avec soin des grossesses de mon entourage, et qui me demandaient souvent comment j’allais avec le simple et sincère souci de ma bonne santé et de mon bon état, et sans vouloir à tout prix raconter leur expérience à elles.
Soyez attentifs, ne la laissez pas tomber, ne la laissez pas toute seule. Montrez-lui que vous êtes là.
Ah oui, aussi : faites-lui des compliments, dites-lui qu’elle ne se résume pas à ses échecs, parce que, ça, elle en a vraiment besoin. (...) Souriez-lui beaucoup. Faites preuve de compassion (généralement, la gent féminine se divise alors en deux groupes : les femmes passées par l’infertilité et leurs proches et les autres. La première catégorie peut être d’un soutien énorme, et affiche souvent des élans éperdus de solidarité.)
Dites-lui que vous pouvez l’aider. Tout le temps. Pour n’importe quoi. Même pour rien.
Soyez particulièrement gentils. Plus que d’habitude. (…)
Le mieux, finalement, est de rester patient, à l’écoute, indulgent, et particulièrement doux avec une femme infertile, parce qu’au fond, c’est vraiment ce dont elle a besoin. Je ne mesurais pas à quel point on est fragile et vulnérable en cette période (parce qu’on expérimente pour la première fois une douleur indicible).
Il resterait un petit point à aborder : il concerne les fameux « tu devrais te détendre », « tu devrais être suivie en acupuncture ». Parce que, scoop again : on a déjà tout essayé quand on est infertile. »

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À propos de Léa

Ce que j'aime : la musique et le chant, les livres, les langues et les voyages, la montagne et plus généralement la nature, sans oublier les après-midis passés à cuisiner en écoutant la radio.

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