Infertilité

Lettre à une amie

L’infertilité peut mettre à l’épreuve beaucoup d’amitiés. Si je n’avais pas craint d’effrayer, de blesser et d'être mécomprise, voici la lettre que j’aurais adressée aux personnes qui me sont chères dans les moments où je me suis sentie le plus mal.

Chère Amie,

Cela fait quatre ans que l’infertilité m’a entre ses griffes et j’ai plus que jamais peur que, en plus de faire vaciller mon couple, elle me fasse perdre mes amis. Cependant, je ne veux pas me résoudre avant de t’avoir expliqué ce que je vis et comment je vois les choses. Je sens que je ne pourrai garder d’amitié vraie qu’avec les personnes qui sont au courant de ma situation. Je perdrai les autres de vue, car elles me blesseront au fil de remarques malvenues ou d’annonces tout en joie, complètement déplacées, de grossesses ou de naissances. J’ai plusieurs fois eu le sentiment que tu ne savais pas comment te comporter avec moi. J’espère que cette lettre pourra dissiper ton embarras.

Sache tout d’abord que mon mari et moi venons de passer les pires années de notre vie. La peine m’a longtemps ôté toute envie de vivre et j’ai eu toutes les peines du monde à entrevoir la lumière au bout du tunnel. Devoir renoncer à la parentalité est une crise existentielle aux multiples dimensions, vécue dans la plus profonde solitude, que seuls les concernés et certains proches qui en font l’effort peuvent comprendre. Nous commençons doucement à aller mieux mais nous ne serons jamais les amis que nous serions devenus si la vie nous avait donné des enfants. La blessure de notre infertilité restera. Mon envie d'être mère m'accompagnera pour toujours et la douleur se réveillera certainement encore quand mes amis deviendront à leur tour grands-parents. J’ai eu longtemps l’impression de rester en arrière à regarder passer les trains pendant que tout le monde embarquait. Aujourd’hui, je veux aller de l’avant en prenant un autre chemin que celui de la maternité mais je n’en serai pas moins différente pour toujours.

Parmi les amis qui connaîtront ma situation, certains seront gênés et chercheront à ignorer ou minimiser mon problème, certains ne comprendront pas ma détresse. Je perdrai également de vue ceux-là : ceux qui ne sont pas capables de faire preuve de courage pour m’épauler dans l’adversité, d’entendre ma souffrance, et d’accepter que certains processus de guérison prennent du temps, ne peuvent pas m’aider. Si tu remarques ma peine mais n’oses pas m’en parler, n’hésite plus car il n’y a pour moi aucune différence entre une personne qui ne voit rien et une personne qui voit mais ne m’en fait pas part : je prendrai ton silence pour un manque d’attention.

Ne me juge pas. Accepte de ne pas savoir et d’être impuissante. L’infertilité m’a enseigné cette leçon. Les conseils que tu voudras me donner pour influencer mes décisions seront en général malvenus. Mon mari et moi avons fait certains choix qui ont été très difficiles. Nous avons longtemps pesé le pour et le contre, avons utilisé toutes les ressources à notre disposition pour nous renseigner et prendre nos décisions en connaissance de cause. Ces décisions nous appartiennent et touchent à ce que nous avons de plus intime. Je n’ai pas d’énergie pour les remettre en question à chaque discussion avec toi.
Ne sois pas blessée si je n’ai pas envie de parler en détail de ce que je traverse. A l’inverse, écoute-moi si j’ai besoin de me confier à quelqu’un.
Ne cherche pas à me cacher ce qui fait ta vie par peur de ma réaction : grossesse, enfants… je l’apprendrai tôt ou tard et serai blessée d’avoir été exclue. Tiens-moi au courant sans attendre de moi que je réponde toujours présente à tes invitations.
Si tu as une annonce de grossesse à faire, montre-moi que tu sais que c’est difficile à entendre pour moi. Annonce-la-moi par écrit ou en tête à tête, surtout pas devant un groupe d’amis devant lequel je me sentirais forcée de faire bonne figure alors que mon cœur vient de se briser pour la millième fois. Ne sois pas blessée si je pleure à cette annonce, ne crois pas que c’est de l’envie car c’est faux. Ce qui me fait pleurer, c’est de penser à ma propre naïveté, quand je croyais encore que moi aussi, un jour, je t’annoncerais la venue d’un heureux évènement.
Accepte que je me retire parfois pour me protéger et que je n’aie pas toujours envie de passer une après-midi entourée d’enfants en bas âges ou de femmes enceintes. Ne sois pas blessée s’il y a des phases où je suis moins présente, par exemple quand tes enfants seront encore petits.
Accepte que je veuille me faire de nouveaux amis qui n’ont pas d’enfants et qui partageront d’autres choses avec moi que ce que nous avons.
Ne sois pas envieuse de ma liberté de voyager ou d’aller à l’opéra car il faut bien qu’il y ait des avantages qui compensent la perte immense de ne pas avoir l’enfant dont on a tant rêvé.
N’attends pas de moi que je sois l’amie avec laquelle tu pourras parler en détail grossesse ou nourrissons, ou bien expliquer longuement combien il est parfois fatigant d’avoir des enfants. Tu me forcerais à te décevoir : je ne pourrais jamais être pour toi cette amie que j’aurais tant aimé être.
Aide-moi à me sortir de situations difficiles, par exemple quand une conversation entre amis va sur une pente dangereuse, en me prenant à part ou en faisant diversion pour changer de sujet.
Montre-moi que tu es là et que tu penses à moi certains jours difficiles, quand mon traitement a échoué ou pour la fête des mères.
Accepte de ne pas être capable de t’imaginer ce que je vis, tout comme moi je ne peux pas savoir ce que c’est que d’avoir la responsabilité d’un enfant.
Montre-moi que tu es aussi parfois disponible pour avoir des conversations entre adultes non entrecoupées par les exigences de tes enfants.
Si tu ne sais pas comment te comporter dans certaines situations, dis-le-moi.

Je sais que cela fait beaucoup de conditions à notre amitié et que tu me trouves exigeante. En contrepartie, je promets d’être une amie fidèle et sur laquelle tu pourras toujours compter :
Je ferai une place à tes enfants dans ma vie car l’absence des miens me permettra de leur consacrer du temps et de leur donner une partie de mon cœur.
Je serai l’amie avec laquelle tu pourras organiser des sorties culturelles ou des randonnées et avoir des discussions sans les enfants.
Je ne me permettrai jamais de te faire la leçon sur la façon selon laquelle tu dois éduquer tes enfants car je ne comparerai pas à ma propre expérience.
Je serai là pour t’aider dans les moments difficiles car je ne sais que trop ce que c’est de sombrer seule dans le désespoir. Je sais aussi que les aléas de la vie mettent à l’épreuve les amitiés au fur et à mesure que nous vieillissons et qu’une amitié entre adultes demande plus d’attention que celle qui lie deux enfants.
Je ne me permettrai jamais de porter de jugements sur tes choix de vie car j’ai trop souffert d’avoir à me justifier des miens.

Je t’embrasse,

Ton amie, Léa

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À propos de Léa

Ce que j'aime : la musique et le chant, les livres, les langues et les voyages, la montagne et plus généralement la nature, sans oublier les après-midis passés à cuisiner en écoutant la radio.

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