Deux actualités récentes m’ont interpelée. L’une positivement, l’autre négativement.
En positif, la publication du livre de Michelle Obama « Becoming ».
Elle y explique notamment que « faire fonctionner » son mariage est un travail, et appelle les jeunes couples à prendre conscience qu’il est normal de rencontrer des difficultés. « Je veux qu’ils sachent que Michelle et Barack Obama, dont le mariage est un succès et qui s’aiment, travaillent sur leur mariage » (« I want them to know that Michelle and Barack Obama, who have a phenomenal marriage and who love each other, we work on our marriage »). Elle révèle également qu’ils ont dû recourir à la fécondation in vitro pour concevoir leurs deux filles, et combien ces moments ont été difficiles à vivre.
Son honnêteté l'honore. La bloggeuse Sarah Chamberlin rapportait une discussion avec une femme qui lui expliquait qu’elle avait eu facilement des enfants. Ce n’est que plus tard que son mari lui a dit en aparté qu’ils avaient dû recourir à une FIV pour concevoir leurs jumeaux.
Qu’espèrent donc les personnes qui agissent ainsi ? Se rassurer sur leur « normalité » ? En contribuant à perpétuer le mythe d’une fertilité facile, elles se font du tort en reniant leur histoire, elles font souffrir les autres infertiles, et elles confortent les plus jeunes dans l’illusion que l’arrivée d’un enfant est toujours garantie. Je comprends tout à fait que tout le monde n’ait pas envie d’exposer sa vie privée. Mais il y a une différence entre ne pas en parler et mentir.
Michelle Obama évoque également l’importance de briser le silence. Elle dit avoir beaucoup souffert d’avoir fait une fausse-couche et s’être sentie très seule, parce qu’elle ignorait à quel point ces dernières étaient fréquentes : « Je pense que la pire chose que nous puissions nous faire à nous autres femmes, c’est de ne pas partager la vérité au sujet de notre corps et de la façon dont il fonctionne » (« I think it's the worst thing that we do to each other as women, not share the truth about our bodies and how they work »).
Depuis que je suis active sur la blogosphère, je me rends compte à quel point il est difficile de mobiliser sur un sujet aussi intime et personnel que l’infertilité, et aussi douloureux que le deuil de parentalité. La bloggeuse Chapi Chapo se demande dans un article (qui date un peu mais sur lequel je suis tombée récemment) si l’on ne fait pas peur en parlant de choses qui fâchent et ne sont pas agréables à entendre.
Mon avis est que chaque action de sensibilisation et de franchise peut faciliter la vie de ceux qui seront confrontés aux mêmes problèmes à l’avenir : dans un monde idéal, chacun aurait été mieux informé et préparé à l’éventualité de ne pas fonder la famille qui semble aujourd’hui encore une telle évidence, on communiquerait à ces personnes l’impression qu’elles ont aussi une valeur en dehors de leurs capacités procréatives, leur entourage reconnaîtrait leur souffrance et cesserait de les blesser à force de maladresse, la société serait prête à les écouter et à prendre leurs besoins en considération.
Mais je me dis parfois que ma vision « militante » et mon besoin de partage sont minoritaires et que beaucoup préfèrent que cette thématique reste cantonnée à la sphère privée. A la solitude de nos destins s’ajouterait une certaine solitude des personnes engagées qui ne se sentent pas forcément approuvées par le reste de leur communauté ? Quand j’espère pouvoir aider un peu les autres en parlant ouvertement du sujet, peut-être que je n’aide au mieux que moi-même, voire que j’aborde des sujets qui sont gênants même pour la plupart des personnes concernées ?
En négatif, la démagogie du ministre allemand de la santé Jens Spahn qui demande l’augmentation des cotisations sociales pour les personnes sans enfant.
Démagogie, car le raisonnement repose sur une argumentation simpliste et fait appel à la frustration que certains parents pourraient ressentir à l’encontre des couples sans enfants, dont les ressources financières seraient supérieures aux leurs, et qui auraient par leur choix fait preuve d’égoïsme et ne contribueraient pas à l’avenir de la société. Dernièrement, une collègue, mère de quatre enfants, qui sait que sa retraite sera ridicule après avoir été longtemps femme au foyer, et qui refuse de recevoir de l’argent de son mari suite à son divorce, m’a tenu exactement ces propos. Connaissant ma situation, elle s’est ensuite empressée de préciser qu’elle ne visait que les couples qui avaient choisi de ne pas avoir d’enfants.
Je trouve hasardeux de faire une différence entre les couples sans enfants en fonction de leur motivation, tout comme je trouve démagogique d’opposer parents et non parents. Hasardeux car les circonstances qui font que les couples n’ont pas d’enfant sont souvent complexes, et qu'il est rarement possible de les mettre clairement dans la case « n'a pas pu avoir d'enfant » ou « n'en a pas voulu ». Certains ont décidé d’attendre avant de concevoir, pour se rendre compte qu’il était trop tard. D’autres ont été confrontés à l'infertilité et ont refusé la médicalisation. Et quand bien même un couple aurait fait le choix délibéré de ne pas avoir d’enfant, c’est une décision qui mérite d’être respectée.
Avoir un enfant de nos jours est généralement un choix. Ce qui est problématique à mes yeux, c’est que certains parents ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs décisions. L’histoire de ma collègue, par exemple, ne devrait pas l’inciter à se sentir flouée par les couples sans enfants, mais plutôt à considérer qu’une société qui contraint ou incite les mères à arrêter de travailler – comme c'est le cas en Allemagne – et à dépendre de leur mari est injuste. Et si certaines personnes font le choix délibéré de stopper leur carrière professionnelle pour des raisons financières, c’est un mauvais calcul : le couple réalisera peut-être des économies sur les frais de garde pendant quelques années mais, sur le long terme, il sera perdant car l’un des parents a de grandes chances de sortir pour toujours du monde professionnel.
Je pense qu’une politique qui fait appel à l’émotionnel et aux raisonnements simplistes repose sur une mauvaise base. Il faut regarder les faits et penser un problème dans sa globalité. Effectivement, le système de retraite par répartition atteint ses limites dans une société en déclin où l’équilibre entre personnes actives et à la retraite n’est plus garanti. Oui, une société a besoin d'enfants. Mais pourquoi a-t-on aujourd’hui un problème de natalité décroissante ? Comment faire pour entraver cette tendance ? Peut-être, plutôt que de pénaliser les personnes sans enfants, serait-il plus efficace de permettre aux couples d’enfanter jeunes, par exemple en leur facilitant l’accès au marché de l’emploi et de l’immobilier. De développer l’offre de garde des enfants pour qu’une femme ne doive pas choisir entre famille et carrière, et que les mères, elles aussi, contribuent au système et s’assurent un minimum de droits à la retraite. D’améliorer le soutien financier aux familles les plus défavorisées. Peut-être faudrait-il également mettre fin au mythe d’une fertilité maîtrisable à tous les âges de la vie.
Le principe de l'impôt, c'est la redistribution. Ainsi, je trouve tout à fait normal de financer des infrastructures que je n'utilise pas moi-même et des aides pour les personnes qui en ont besoin. Ce que je trouve gênant, c'est qu'on tente d'apporter une solution court-termiste à un problème réel en stigmatisant une partie de la population. De plus, veut-on vraiment commencer les comptes d’apothicaire sur qui apporte ou coûte le plus à la société ? Si l’on entrait dans ce débat, il faudrait donc demander aux parents de passer à la caisse si leurs enfants sont au chômage de longue durée, ou s’ils vont travailler à l’étranger après leurs études… Les personnes sans enfant travaillent souvent toute leur vie à temps plein. Elles ne bénéficient pas d’allocations familiales ou de réductions d’impôts. Beaucoup d'entre elles soutiennent financièrement d’autres membres de leur famille (parents, neveux ou nièces) ou des associations. Et surtout, elles doivent mettre de l'argent de côté car elles savent que dans leur grand âge, elles ne pourront compter que sur elles-mêmes. Alors, est-il vraiment intelligent de chercher à diviser la société avec de pareilles propositions ?