J’ai envie aujourd’hui d’écrire sur le désir d’enfant. Ce sentiment si puissant, dont une femme ne prend pleinement conscience qu’à partir du moment où elle est confrontée malgré elle à l’éventualité de ne jamais donner la vie.
Il me semble que ce sont les couples qui sont restés involontairement sans enfant qui sont les plus à même de comprendre ce sentiment. Et que, paradoxalement, il existe des parents qui n’ont connu qu’à la marge ce désir animal, irrationnel, involontaire, contrôlable seulement au terme d’un immense travail sur soi. Ces derniers auront toutes les difficultés du monde à comprendre ce que des femmes comme moi ont traversé. Leur désir a été satisfait et ils sont dans un autre temps : celui de l’action. Ils imaginent ma vie comme la leur, avec du temps en plus, un appartement bien rangé et des grasses matinées. Ils ne voient pas les larmes, la rage, le désespoir, le vide que l’absence d’enfant laisse dans les cœurs et la vie du couple. Ils ne voient pas la force qu’il a fallu déployer pour se construire une autre vie à partir des cendres de son rêve brisé.
Le désir d’enfant est un puissant moteur : il explique que des femmes soient parfois prêtes à sacrifier leur santé et plusieurs années de leur vie en traitements infructueux, à mettre entre parenthèses leur carrière, à ne plus évoluer ni s’impliquer dans la vie de la société. Ce faisant, elles auto-alimentent leur impression de rester en arrière et de ne pas évoluer, dans l’attente que l’arrivée d’un enfant solutionne tout. Le désir d’enfant contrôle notre rationalité, et des décisions sont prises en dépit des statistiques de succès des traitements. Certains médecins sont désarmés face à cet aveuglement – le comprennent-ils seulement ? – et préfèrent l’encourager plutôt que de tenter de lutter contre cette force ; peut-être le font-ils aussi pour des raisons financières ou parce qu’ils veulent croire en leur toute puissance. Pourtant, j’affirme que voir la réalité en face, parcourir le long et solitaire chemin de l’acceptation, n’est pas plus douloureux que de continuer à croire en dépit de toute raison et de passer des années à voir ses espoirs brisés un à un. Je peux dire cela aujourd'hui, mais j'ai bien conscience de n'avoir réussi à lutter contre mon désir d’enfant que parce qu’il a failli m’anéantir et que j’ai dû accepter de me tourner vers d’autres possibles.
La puissance du désir d’enfant est indépendante du fait d’être déjà parent. Elle peut se manifester de façon très violente pour le deuxième, le troisième enfant, si ceux-ci sont désirés mais tardent à venir. La situation pourra être d’autant plus difficile à vivre pour une mère qui ne comprendra pas pourquoi elle n’est plus capable d’être satisfaite avec l’enfant qu’elle a déjà. Mais le désir d'enfant n'obéit à aucune rationalité – et de toute façon, peut-être est-on mère différemment à chaque enfant ?
Le désir d’enfant, c’est le désir de l’autre, celui d’un être encore inconnu vers lequel on dirige toute son énergie. Mais c’est également le désir de parentalité, donc un désir de soi, de se voir devenir différent. Quoiqu’il en soit, ce désir reste à la fois un élan naturel nécessaire à la survie de l’espèce, une résultante d'un certain modèle de société que nous avons intégré et voulons reproduire, un projet démesuré – se prolonger soi-même avec son partenaire dans un autre être, pour toucher à l'immortalité –, ainsi que l’expression d’un optimisme sans bornes et d’une générosité suprême – être prêt à se dépasser voire à s’oublier, dans l'espoir de rendre son enfant heureux par la force de son amour.