Nommer un mal, c’est trouver les clés pour y remédier. Quand j’ai compris que le chemin vers la maternité serait compliqué, j’ai été submergée par un flux continu de sentiments négatifs : impuissance, colère, envie, désespoir, haine de soi, incompréhension, perte de contrôle, culpabilité, tristesse… Ces sentiments ne se manifestaient pas toujours activement mais je sentais qu’ils m’accompagnaient, toujours présents dans un coin de ma tête, toujours prêts à se réveiller sous l’effet du moindre élément déclencheur : annonce de grossesse, phrase malvenue d’un collègue sur ses enfants. Au fil des mois et des échecs, l’intensité de ces sentiments a augmenté, pouvant me paralyser et me rendre imperméable à tout bonheur pendant plusieurs jours.
Je trouve encore aujourd’hui incroyable que personne dans mon entourage et parmi les médecins que j’ai consultés n’ait été capable de m’aider à nommer ce que je ressentais. Un spécialiste dans l’assistance médicale à la procréation a été, sans surprise, complètement insensible à ma souffrance et s’en est amusé. Même une psychologue compétente et empathique n’a pas su m’aider à percer les ténèbres.
Le premier déclic a eu lieu quand j’ai découvert cette vidéo postée sur le blog de Klara : la britannique Jody Day, dans un exposé dans lequel je me suis tout de suite reconnue, y parle de « la tribu perdue des femmes sans enfants » (« The Lost Tribe of Childless Women »). Jody Day est la fondatrice de la communauté Gateway Women rassemblant des femmes qui ont dû renoncer à la maternité pour des raisons qui sont aussi nombreuses que les femmes impliquées. C’est dans sa vidéo que j’ai entendu pour la première fois associer le mot de deuil à la crise existentielle qu’est celle de se rendre compte qu’on ne pourra peut-être pas donner la vie. Cela m’a semblé être une telle évidence que je me suis demandé comment il était possible de ne pas y avoir songé plus tôt.
La réaction de mon entourage a été l’incompréhension. J’étais encore trop jeune pour me résigner, pourquoi devais-je déjà parler de deuil ? C’était exagéré et défaitiste. Personne ne voyait que c’est justement ce deuil ignoré, la perte sans cesse renouvelée au fil des mois, l’incapacité de nommer ce qui détruit, qui décuple la souffrance, le désespoir et la dévastation intérieure. Mettre un mot sur un ressenti, cela ne signifie pas pour autant qu’on appelle de ses vœux sa concrétisation : tant que je serai encore en âge d’enfanter, le désir d’être mère m’accompagnera. Cependant, c’est un deuil de mettre fin au désir « actif » d’enfant et d’envisager d’embrasser un autre destin. Accepter de nommer ce que je ressens n’empêchera pas la vie de me surprendre si un miracle devait arriver un jour.
Rassembler l’énergie de continuer à avancer dans la vie implique de ne pas se mentir. Ne pas avoir peur de nommer ce qui est désagréable et ce qui fait peur, pour mieux se reconstruire, est un réflexe de survie. Dans notre société moderne où la mort et la maladie sont pudiquement cachées, donnant l’impression d’avoir disparu, dans cette société du loisir et de l’immédiateté, prendre conscience de mon vécu m’a fait l’effet d’une délivrance. J’ai découvert dans un article du blog Infertile Phoenix la « Déclaration des droits des personnes en deuil » de Alan D. Wolfelt. Chaque point (ou presque, j’y reviendrai) résonnait en moi, me donnant la preuve, s’il en fallait une, que j’avais enfin trouvé les clés que je cherchais.
« Déclaration des droits des personnes en deuil »
de Alan D. Wolfelt (« Mourner’s Bill of Rights » )
1. Vous avez le droit de faire une expérience de deuil qui vous est propre.
Ne permettez à personne de vous dicter ce que vous devez ressentir ou comment vous devez agir.
2. Vous avez le droit de parler de votre deuil.
Cela vous aidera à alléger votre souffrance. Cherchez des personnes qui seront prêtes à parler avec vous aussi longtemps et souvent que vous en aurez besoin. Si vous ne ressentez pas le besoin d’en parler, c’est aussi votre droit.
3. Vous avez le droit de ressentir une multitude d’émotions.
Perte de repères, peur, culpabilité, sont autant de sentiments qui peuvent vous accompagner. Ne laissez personne juger que certains sentiments n’ont pas le droit d’être éprouvés. Essayez de trouver des personnes qui vous écoutent parler de vos sentiments sans conditions.
4. Vous avez le droit d’être tolérant avec vos limites physiques et émotionnelles.
Les sentiments de perte et de tristesse vous fatigueront sûrement. Respectez ce que votre corps et votre esprit vous disent.
5. Vous avez le droit de connaître des « résurgences de douleur ».
Il est possible que parfois, sans crier gare, le chagrin vous submerge. Cela peut faire peur mais il s’agit d’un processus normal et naturel.
6. Vous avez le droit d’avoir recours à des rituels.
Un rite de deuil est là non seulement pour pleurer une personne aimée mais permet aussi de trouver le soutien nécessaire de la part de ses proches.
7. Vous avez le droit de développer votre spiritualité.
Si la foi fait partie de votre vie, exprimez-la. Autorisez-vous à fréquenter des personnes qui comprennent et partagent vos croyances. Si vous vous sentez en colère contre Dieu, trouvez quelqu’un avec qui en parler qui ne critiquera pas votre sentiment d’abandon.
8. Vous avez le droit de chercher un sens à ce qui arrive.
Vous vous demandez peut-être : « Pourquoi est-il mort ? Pourquoi de cette manière ? Pourquoi maintenant ? ». Vous trouverez des réponses à certaines questions et à d’autre non. Méfiez-vous des réponses-clichés que certains pourraient vous donner, comme « C’était la volonté de Dieu » : vous n’êtes pas obligé de les accepter.
9. Vous avez le droit de chérir vos souvenirs.
Les souvenirs sont l’héritage le plus précieux qu’il vous reste après la perte d’un être aimé. Plutôt que de les refouler, trouvez des personnes avec qui vous pourrez les partager.
10. Vous avez le droit de guérir de votre deuil.
Faire votre deuil sera long. Souvenez-vous que le deuil est un processus qui demande du temps, pas un évènement circonscrit dans le temps. Soyez tolérant avec vous-mêmes et évitez les personnes impatientes avec vous. Personne, y compris vous-même, ne doit oublier que la perte de quelqu’un change votre vie pour toujours.